« LA VOIE EST LIBRE MONSIEUR LE PRESIDENT… »
Cette phrase pourrait avoir été prononcée par James Kabarebe, le ministre de la défense rwandais, à l’intention de son chef, Paul Kagamé. En effet, l’audace affichée par le
pouvoir rwandais, mentor du mouvement rebelle M23 qui vient de prendre en
tenaille la ville de Goma en RDC, ce malgré les préventions du Conseil de
Sécurité de l’Onu, peut apparaitre stupéfiante. Mais comment s’en étonner outre
mesure lorsque l’homme qui considère Paul Kagamé comme « l’un des plus
grands leaders de notre temps » couche dans le même lit que la Secrétaire
d’Etat américaine ?
Au moment où une offensive majeure est lancée par le M23 pour contrôler un territoire plus important à l’est de la RDC ainsi que la ville de Goma, capitale de la province du
Nord-Kivu, on peut se poser des questions sur le tropisme du pouvoir rwandais
vis-à-vis de son voisin, la RDC. Ces derniers mois, d’intenses efforts
diplomatiques ont été déployés pour désamorcer la crise née de la mutinerie des
anciens rebelles du Cndp de Laurent Nkunda, qui avaient été intégrés dans
l’armée nationale congolaise après des négociations au début de l’année 2009.
Ces mutineries avaient surgi alors que, sous la pression de la communauté
internationale et de la Cour Pénale Internationale, le gouvernement congolais
avait été contraint de lancer un mandat d’arrêt contre Bosco Ntanganda, ancien
compagnon de Laurent Nkunda et véritable patron des troupes ex-Cndp dans
l’armée. Alors que la crispation sur le terrain était devenue palpable,
notamment depuis la publication d’un rapport de l’Onu mettant formellement en
cause le pouvoir rwandais pour son soutien avéré au M23, la Conférence
Internationale sur la région des Grands-Lacs (CIRGL) a été le cadre privilégié
des négociations. Face aux dénégations du Rwanda et à sa récusation du rapport
des experts de l’Onu, la solution adoptée a été celle de la mise en place d’une
« Force Neutre » devant contrôler les mouvements à la frontière du
Rwanda et de la RDC, et devant également lutter contre les groupes armés
appelés « forces négatives » qui sévissent dans ce dernier pays.
Alors qu’on s’acheminait vers les modalités de mise en place
de cette solution, la nouvelle escalade sur le front militaire démontre la
duplicité de Paul Kagamé, qui ne joue pas le jeu, et qui par son attitude
arrogante a constamment saboté les efforts de paix. D’ailleurs, il n’a plus
participé aux dernières réunions des chefs d’états sur les conflits dans la
région. L’on se souviendra aussi de son comportement un brin méprisant avec le
ministre des affaires étrangères belge, lorsqu’il quitta une réunion au siège
de l’Onu en pleine intervention de ce dernier sur la situation à l’est de la
RDC. Dans ce double-jeu il bénéficie de la complicité de l’Ouganda dont le
président fut son mentor, puis son allié dans la conquête du pouvoir au Rwanda.
En effet, le rapport de l’Onu et les faits ont démontré que l’Ouganda était
juge et partie dans cette affaire qui avait débuté comme une pantalonnade de
quelques officiers criminels et leurs hommes, et qui ensuite se sont brusquement
mués en une force militaire à la puissance de feu irrésistible.
Cette arrogance qu’affiche Paul Kagamé prouve à suffisance
qu’il continue de bénéficier de soutiens importants en occident. L’ancien
premier ministre britannique, Tony Blair, qui est devenu son conseiller,
n’hésite pas à le considérer comme un « leader visionnaire » ;
tandis que ne voulant pas être en reste l’ancien président américain, Bill
Clinton (et surtout époux de l’actuelle Secrétaire d’Etat), le qualifie « d’un
des plus grands leaders de notre temps », des qualificatifs réservés à des
hommes de la trempe de Nelson Mandela. Pourtant on se rappelle que dans l’un de
ses livres où il avait enquêté sur le génocide au Rwanda (« Noires fureurs
et Blancs menteurs »), le journaliste Pierre Péan, dont on connait le
sérieux des investigations, avait qualifié Paul Kagamé « d’un des plus
grands criminels de l’histoire encore en vie… » C’est ce même Paul Kagamé
qui a muselé, assassiné ou fait emprisonner ses opposants et des journalistes
dans son pays sans que l’opinion occidentale et les organisations de défense
des droits de l’homme ne s’en émeuvent, et c’est toujours lui qui s’est fait
réélire avec plus de 93% des suffrages sans que la presse occidentale ne
bronche.
Si Bill Clinton va rendre visite à Kagamé accompagné de sa
fille Chelsea, c’est qu’il considère que cet homme est fréquentable. Cette
proximité, presque familiale, ne peut que rendre perplexe. Comment l’ancien
président américain, qui a eu accès aux rapports confidentiels des services
secrets américains établissant le profil de « serial killer » de Paul
Kagamé peut-il être si proche de lui, au point de lui amener en visite la fille
de la Secrétaire d’Etat en fonction ? Cette proximité malsaine explique
beaucoup de choses cachées, à commencer par les secrets de la période noire
rwandaise du génocide, lorsque Bill Clinton était aux commandes du gouvernement
américain et avait soutenu la conquête tragique du pouvoir par le Fpr de Paul Kagamé,
puis le renversement du régime de Mobutu avec la participation des forces
rwandaises. Le cynisme qu’affichent ces relations est difficilement
supportable, tout se passe comme si les millions de morts et les populations
violentées à l’est de la Rdc passaient par pertes et profits.
Depuis cette immixtion dans les affaires de son voisin une
plaie s’est ouverte, le Rwanda s’étant « addicté » aux richesses
naturelles de la Rdc et ayant suscité des relais centrifuges à l’intérieur du
pays. Surtout que la présence des réfugiés hutu rwandais a exacerbé les
conflits communautaires dans la partie est de la Rdc, rendant la tâche difficile au gouvernement de Kinshasa dans l'administration de ce territoire. Fort des soutiens
importants dont il dispose en occident et d’une armée forte et disciplinée,
Paul Kagamé peut rêver de déstabiliser, voire de démembrer le géant un peu mou auquel son pays est adossé. D’autant qu’il peut aisément manœuvrer depuis son territoire
pour tirer au flanc de l’armée congolaise et la prendre à rebours. Rien ne peut
le gêner pour appliquer son plan, même pas le gouvernement américain qui compte
en son sein des anciens de l’équipe Clinton, comme l’actuelle ambassadrice américaine
à l’Onu, Susan Rice. Ils ont tous collaboré avec lui et la plupart lui sont
restés proches. Quant à la communauté internationale, depuis la publication du
rapport des experts de l’Onu, la pusillanimité des sanctions ou les velléités
des menaces de sanctions ne peuvent pas rebuter le dirigeant rwandais.
D’ailleurs, l’existence de ce rapport n’a pas empêché son pays d’être
cyniquement désigné pour siéger comme membre non permanent au Conseil de
Sécurité de l’Onu, l’organisme chargé de la résolution des conflits dans le
monde ( !)
Autrefois les rares pays amis de la Rdc faisaient beaucoup
plus pression qu’aujourd’hui pour que l’intégrité territoriale de la Rdc soit
respectée. A l’époque de la guerre de rébellion menée par plusieurs mouvements
soutenus par le Rwanda et l’Ouganda, le conflit avait vu l’implication de
certains pays africains aux côtés de la Rdc, notamment l’Angola et le
Zimbabwe. En Europe, la Belgique avait été très active dans la recherche des
solutions de paix dans son ancienne colonie. Du côté de la France, Jacques
Chirac avait pesé de tout son poids pour éviter la mise en coupe réglée du
pays. L’ambassadeur de France à l’Onu, Jean-David Levitt, parlait au nom de la
Rdc au Conseil de Sécurité. Son rôle a été très actif dans la mise en place de
la Mission des Nations-Unies au Congo (Monuc devenue Monusco). Après un moment
de flottement Nicolas Sarkozy avait réaffirmé sa détermination à défendre l’intégrité
de la Rdc lors de sa visite à Kinshasa en mars 2009 (période où le Rwanda avait
été contraint de mettre fin à l’aventure du Cndp de Laurent Nkunda). La France
défendait ainsi la zone d’influence francophone face à un Rwanda et un Ouganda
anglophones. Aujourd’hui ce soutien de la France n’existe pratiquement plus,
les dirigeants rwandais s’en sont rendus compte lors du sommet de la
Francophonie à Kinshasa, et il est probable que Paris ne lève pas le petit
doigt cette fois-ci.
Du coup que reste-t-il en face de Paul Kagamé, de l’autre
côté de la frontière ? Un pouvoir fragilisé depuis les élections
contestées de novembre 2011, un gouvernement qui n’est pas soutenu par ses
élites, une opposition fragmentée et sans visibilité, une classe politique
gangrenée par l’appât du gain et prête à toute les compromissions, une société
civile minée par la haine des uns et des autres (au pays comme dans la
diaspora), une légion d’opportunistes spécialistes du tir au flanc, une armée
infiltrée par les brassages des milices qui tiennent des zones d’obédience…
Bref un pays incapable de taire ses divisions pour trouver un consensus autour de l’unité afin de se défendre contre l’agression extérieure. On n’entend nulle part des voix appelant les
congolais à l’unité. Lorsqu’on aura fini notre guéguerre interne, ceux qui
dirigeront la Rdc hériteront peut-être d’un pays pas tout à fait de la même
taille que celle qu’il a aujourd’hui…
Alors, pourquoi Kagamé va-t-il se gêner, lui qui n’a jamais fait dans la dentelle ?
Charles KABUYA
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