RDC: NATIONALITÉ EXCLUSIVE OU DOUBLE NATIONALITÉ ? AGIR AVANT QUE LA FÊLURE NE DEVIENNE DÉCHIRURE...
À l'occasion des élections législatives et présidentielle prévues à la fin de cette année 2018, la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a pour la première fois exclut des candidats au motif qu'ils détiendraient une double nationalité en violation de l'article 10 de la constitution qui dispose que "La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune une autre"
On a vu alors des députés qui ont siégé durant plus d'une législature, proposé et voté des lois (qui sont en vigueur) se faire exclure des élections; des gouverneurs de province qui ont posé des actes régaliens et procédé à des nominations au sein des administrations provinciales se faire éjecter. Un premier ministre de la République (qui était encore en fonction il y a un an) dont la candidature à l'élection présidentielle a été rejetée car il serait... un étranger, et qui a dû recourir à la Cour constitutionnelle pour obtenir gain de cause etc.
Qu'à cela ne tienne, n'a-t-on pas exigé du chef de l'état qu'il respecte la constitution ? N'a-t-on pas remué ciel et terre, organisé des marches, villes mortes et autres manifestations violentes (avec malheureusement des morts à déplorer) pour que l'article 70 de la constitution soit strictement appliqué? Pourquoi alors serait-il le seul à qui la rigueur de la loi constitutionnelle s'appliquerait? Comme dans leur écrasante majorité les congolais exigent le respect de la constitution par la plus haute autorité du pays, alors on devrait fermer le ban et ne plus parler de cette affaire de la double nationalité qui n'est qu'un détail dans la hiérarchie des préoccupations des citoyens. La Ceni n'a fait que son job, circulez...
Sauf que les choses ne sont pas aussi simples qu'il n'y paraît. La double nationalité n'est pas un détail de la problématique de la Nationalité, elle en fait intégralement partie. Or on sait que la nationalité est une question tres sensible dans notre pays. Elle a fait l'objet de plusieurs lois, depuis les années 70 jusqu'à l'actuelle constitution. Elle a été au coeur de drames et conflits meurtriers, particulièrement à l'est de notre pays où les communautés s'entre-déchirent sur fond de conflits pour les terres avec des populations rwandophones migrantes ou installées par les belges à l’époque coloniale (notamment en 1917 et en 1953), sans compter les nombreux clandestins qui s'étaient progressivement infiltrés ainsi que les réfugiés fuyant les persécutions au Rwanda et au Burundi. La transhumance inhérente à ces migrations a été telle que les populations en déplacement sont devenues majoritaires dans certaines contrées du Kivu, rendant les conflits inévitables.
C'est ainsi que ces conflits, déjà latents au moment de l'indépendance en 1960, ont créé une confusion qui a nécessité l'élaboration de plusieurs lois sur la nationalité. Deux ordonnances-lois successives prises par le président Mobutu, celle du 26 mars 1971 et celle du 5 janvier 1972 bénéficièrent aux populations rwandophones en leur octroyant collectivement la nationalité Zaïroise. Il faut dire qu'à l'époque c'est le rwandophone Bisengimana Rwema qui était le tout puissant directeur du bureau du président Mobutu.
Mais en l'absence de recensement et devant l'afflux continu des réfugiés, les conflits persistèrent après une période d'accalmie.
Les temps ayant changé (Bisengimana n'étant plus l'éminence grise) le gouvernement voulut s'attaquer de nouveau au problème en remettant à plat la question de la nationalité avec la loi rétroactive du 29 juin 1981 et l'ordonnance n° 82-061 du 15 mai 1982 qui remettait brutalement en cause la situation de milliers de rwandophones en annulant la loi de 1972 en ces termes: "sont nuls et non avenus les certificats de nationalité Zaïroise ou tout autre document d'identité délivrés en application (...) de la loi du 5 janvier 1972 sur la nationalité Zaïroise". Mais les lobbies bloquèrent l'application de cette loi ainsi que le recensement prévu en 1987 pour déterminer "qui était zaïrois et qui ne l'était pas".
C'est ainsi que la Conférence Nationale Souveraine (Cns) hérita d'un dossier qui était encore brûlant, les conflits étaient au paroxysme, attisés par les affrontements et massacres au Rwanda voisin. Le parlement de transition mit sur pied une commission chargée de faire des recommandations pour régler définitivement le problème de l'application de la loi sur nationalité dans cette région tourmentée. Le mécontentement des populations du Kivu qui vivaient un indicible calvaire influença visiblement les membres de la commission. En effet, le 24 avril 1995 le rapport Vangu (du nom du président de la commission) recommanda avec un zèle certain: "l'application immédiate de la loi de 1981, le rapatriement, sans conditions, de tous les réfugiés et irréguliers rwandais et burundais, l'annulation de leurs mandats publics et de leurs titres de propriété"!
Ceci fut ressenti par les populations rwandophones comme une exclusion de la vie nationale à travers une application discriminatoire de la loi. Et on peut dire que cette recommandation a contribué à faire le lit de la guerre et favorisé l'explosion des violences multiformes dans cette région du pays. Malheureusement, beaucoup de compatriotes rwandophones se sont illustrés au cours de ces conflits par une allégeance extérieure et des agressions contre la Rdc et ses populations, pays dont pourtant ils se réclamaient... Ces guerres d'agression ont laissé des traces indélébiles chez les congolais, particulièrement à l'est du pays. Cette situation a eu comme conséquence de générer une crispation par rapport à tout ce qui touche à la nationalité, ce qui rend encore aujourd'hui la question de la double nationalité inaudible pour la majorité des congolais.
Après les épisodes de guerres meurtrières où les pays rwandophones étaient activement impliqués (avec des soutiens internes), les accords de paix ont abouti à un nouvel ordre constitutionnel de compromis. Ainsi la constitution du 18 février 2006 (qui est actuellement en vigueur) est revenue au principe de la loi de 1972 qui reconnaissait la nationalité zaïroise aux populations rwandophones installées avant 1960 ainsi qu'à leur descendance. Cependant la crispation demeure au sujet de la double nationalité. Même sous l'empire des nouvelles dispositions constitutionnelles, un "copier coller" des lois précédentes sur la nationalité est remarquable. En effet, le fameux "la nationalité congolaise est une et exclusive etc." est une survivance des constitutions mobutistes.
Comme on peut le voir, depuis plusieurs décennies la question de la nationalité a été liée à la problématique de l'est du pays et ses nombreux soubresauts. Ces dernières années un vent de xénophobie a même introduit la "congolité" ainsi que le délit de faciès que certains politiciens sans scrupules et des groupes de pression extrémistes dans la diaspora exploitent sans vergogne, en oubliant les dégâts que ce type de concept à soubassement ethniciste ont causés dans certains pays, comme la Côte d'ivoire.
Aujourd'hui, la population congolaise a sociologiquement changé. Il existe désormais une importante diaspora congolaise dont les estimations oscillent en 5 et 6 millions de personnes (soit plus que la population de certaines provinces). Elle participe à la vie de la nation sur le plan économique en transférant chaque année plusieurs milliards de dollars à leurs familles et parents vivant au pays. Beaucoup de congolais de la diaspora investissent dans l'immobilier et les affaires, tandis que d'autres sont actifs avec des Ong humanitaires qui jouent un rôle de soutien sur le plan social (scolarité, orphelinats, santé etc...) La plupart de ces congolais s'intéressent à la politique de notre pays et envisagent d'en être des acteurs engagés, même si certaines outrances sur les réseaux sociaux et la violence physique sont des anti-valeurs qu'on déplore...
Faut-il alors sacrifier sur l'autel de la crispation xénophobe les millions de congolais qui ont acquis talent et savoir-faire à l'étranger et qui veulent servir leur pays ? La Rdc n'a ni le temps ni les moyens de former dans l'excellence des ingénieurs, économistes, chercheurs, médecins etc... Beaucoup d'entre eux ont acquis la nationalité des pays dans lesquels ils vivent, très souvent pour des raisons de commodité de résidence et de travail ou de facilité pour les déplacements. Pourquoi alors se priverait-on de nos enfants formés dans l'excellence dans la diaspora? La loi discriminante nous pénalise nous-mêmes en ce qu'elle décourage les talents et inhibe les ambitions de nos compatriotes de la diaspora, qui redoutent les tracasseries et autres complications crapuleuses lorsqu'ils doivent se rendre au pays de leurs ancêtres pour y réaliser leurs projets ou explorer les opportunités...
Parmi les écueils il y a aussi l'attitude de nos propres compatriotes qui sont au pays. Il n'est pas sûr de leur part que l'opposition à la participation des congolais de la diaspora à la vie publique nationale soit toujours mûe par un souci de respect de la légalité ou de conformité à la constitution. D'une part il y a le phénomène dit "du gâteau qui ne va pas grossir", incitant à écarter la concurrence des membres de la diaspora de la course aux postes ou aux mandats juteux. On peut également déceler une pointe de jalousie de la part de ceux qui auraient aimé vivre eux-aussi l'émigration dans une Europe ou une Amérique tant idéalisées... En effet, peu de congolais refuseraient une naturalisation qui permettrait l'accès à cette émigration ou des facilités de voyage en occident... Il n'y a qu'à voir l'engouement autour de la DV Lottery américaine ou les drames sur la route de l'émigration... Du coup on nage souvent en pleine hypocrisie. Certains extrémistes sur la question vont jusqu’à criminaliser la situation de ceux qui détiendraient une double nationalité!
Dans tous les cas il faut sortir de cette ambiguïté ambiante où les congolais s'illustrent par ce qu'ils savent faire le mieux : la haine des uns et des autres... Tandis que certains protégés dissimulent à peine leur situation de binationaux.
L'autre aspect de cette ambiguïté, c'est la situation des joueurs de notre équipe nationale, les Léopards. Tout le monde sait que la plupart d'entre eux sont des binationaux. Et cela ne dérange personne lorsqu'ils défendent avec talent nos couleurs nationales...
C'est pourquoi afin de capitaliser cette abondante ressource humaine et le pouvoir d'achat important qu'elle possède, j'exhorte la classe politique congolaise et les animateurs des institutions publiques de se pencher sur cette question de la double nationalité. Sans passion ni arrière-pensées mesquines.
Plusieurs pays ont des dispositions constitutionnelles favorables à la double nationalité, d'autres sont partiellement restrictifs, et certains sont exclusifs, comme c'est le cas pour la Rdc. Au nom de la nouvelle donne sociologique, qui est l'importance numérique et économique de la diaspora, il faut explorer les pistes qui existent pour donner une réponse satisfaisante à cette problématique de la double nationalité.
Personnellement je propose qu'on se penche sur le modèle algérien. En effet, l'Algérie a consacré dans l'article 51 de sa constitution "l'egal accès aux fonctions de l'état a tous les citoyens, sous les conditions fixées par la loi...".
En conséquence cette disposition constitutionnelle a été complétée par une loi fixant la liste des fonctions interdites aux binationaux, parmi lesquelles :
- Président de la République
- Premier ministre
- Président de l'assemblée nationale
- Président du sénat
- Chef d'état Major de l'armée ou de la police.
- Président des hautes juridictions
- Gouverneur de la Banque centrale
- Gouverneur de province Etc.
Si cette formule est adoptée en Rdc on pourrait y ajouter la police et l'armée (sauf dérogation) certaines hautes fonctions dans l'administration etc.
Une autre disposion pourrait assujettir les binationaux (et/ou tous les candidats) à une obligation de résidence effective de 3 ans dans le pays avant de se présenter à une élection locale et de 5 ans pour une élection nationale.
Ces suggestions peuvent être une base de départ pour trouver une véritable réponse à la problématique de la double nationalité.
Comme on l'a vu plus haut, l'actuelle constitution et les précédentes ont posé les bases de la nationalité "une et exclusive" en fonction de la problématique des migrations rwandophones à l'est du pays et des conflits inhérents. Tout en étant conscients du fait que l'accalmie relative qui règne sur ce front, à la faveur des dispositions de l'actuelle constitution sur la nationalité, ne nous met pas à l'abri d'un retour de flammes, nous pouvons nous atteler à prendre la mesure de ce nouveau front de la double nationalité. Il concerne une importante population de congolais d'origine qui en sont à la deuxième génération d'enfants nés ou ayant grandi à l'étranger, et qui ont le droit à la nationalité congolaise par filiation.
Ne pas le faire c'est maintenir une injustice à l'égard de ces populations importantes pour notre pays et se priver d'immenses ressources humaines et économiques. Parmi les millions d'enfants congolais nés dans la diaspora, certains resident dans des pays qui pratiquent le "jus soli" (droit du sol) et acquièrent automatiquement la citoyenneté de ces pays, sans pour autant remettre en cause leur attachement au pays d'origine de leurs parents. Le Congo doit leur garantir la nationalité par filiation.
Ne pas le faire c'est aussi prendre le risque de voir une fêlure devenir une déchirure nationale.
La loi et la constitution doivent être dynamiques et répondre à l'évolution de la société. Il appartient aux politiques d'avoir le courage d'innover. Ça s'appelle la réforme...
Me Charles Kabuya
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 140 autres membres