AUX ORIGINES DES MALHEURS DE LA TRANSITION EN RD CONGO (extrait de mon livre)
Depuis plusieurs mois, l’air du temps est à la réconciliation dans la région des Grands-Lacs. La diplomatie est devenue très agissante dans le sens de la paix, et pour certains belligérants d’hier, l’heure est à la confortation de leur pouvoir (Paul Kagamé vient de se faire réélire à la tête du Rwanda avec 93% de voix pour un nouveau mandat de sept ans) et à la recherche d'une respectabilité internationale. La RDC, quant à elle, après avoir connu des vicissitudes politiques et guerrières qui l’ont considérablement affaiblie et traumatisé profondément ses populations, est friande d’un round de la paix. Quitte à fermer les yeux sur le lourd contentieux humanitaire (atrocités sur les populations), politique (viol de l'intégrité térritoriale et soutien à la rebellion) et économique (pillage des ressources naturelles) qui existe avec certains de ses voisins (suivez mon regard !) Mais c’est la « real politique » et elle est saluée par la communauté internationale, certainement lassée de l’interminable conflit dans les Grands-Lacs que Jacques Chirac avait, avant Obama, qualifié de « guerre idiote ».
Mais, cette guerre n’était pas si « idiote » que ça. Elle découle d’une politique délibérée, initiée par l’administration Clinton après la fin de la guerre froide, et surtout portée par les ambitions des nouveaux dirigeants arrivés au pouvoir au Rwanda et en Ouganda, qui visaient le leadership dans la région. Aujourd'hui, après moult péripéties politiques et militaires dans la région des Grands-Lacs, l'heure est en quelque sorte au bilan. Un bilan d'autant plus nécessaire que des dégats et des traumatismes importants ont été causés; en particulier en RDC, où d'ailleurs des soubressauts continuent à cause de ce que Colette Brarckman avait, elle même, appelé les "métastases du conflit rwando-rwandais". C'est dans ce contexte que doit être publié un rapport aux relents de bombe (s'il n'est pas édulcoré), qui accable en particulier le pouvoir rwandais actuel pour les massacres sytématiques et à grande echelle commis sur le territoire de la RDC (le fait de génocide envers les hutu est même évoqué). Pour nous congolais, on ne peut qu'espérer que ce document sera l'amorce d'une nouvelle donne qui permettra de rendre justices aux millions de congolais qui ont péri injustement au cours de cette période.
Pour comprendre tout cela, j’ai choisi de mettre en ligne sur FBK un extrait de mon livre, paru au mois de mars 2010 (« CONGO, TERRE D’ENJEUX. De la conquête coloniale à la quête d’un destin » Noé Editeur, Paris)
DES APPRENTIS-SORCIERS DANS LES GRANDS-LACS
La catastrophe rwandaise va survenir à un moment délicat pour le Zaïre de Mobutu. Avec une transition dans l’impasse, un gouvernement affaibli, une administration en déliquescence avancée et une armée démoralisée, le pays était mûr pour un coup de force et représentait presque une proie facile pour les ambitieux nouveaux maîtres installés à Kigali et à Kampala. Surtout qu’ils sont appuyés par l’administration américaine décidée à redistribuer les cartes dans la région.
La politique de l’administration Clinton en Afrique des Grands-Lacs est en grande partie à la base des malheurs actuels du Congo. L’est du pays est le théâtre d’une des tragédies les plus meurtrières des ces dernières années. L’ancienne sénatrice démocrate américaine Cynthia Mckinney, qui fut l’envoyée spéciale de Bill Clinton en Afrique en 1997, affirme même qu’il s’agit de « l’une des tragédies humaines les plus révoltantes et les plus scandaleuses depuis la fin de la seconde guerre mondiale » et considère que cette situation est « la conséquence de la mauvaise politique des Etats-Unis et de l’indifférence du leadership américain. » (Voir sa préface dans « Ces tueurs Tutsi », pp. 16-17)
En effet, l’ancien président américain exécrait à juste titre les inexpugnables dictatures africaines. Surfant sur ce qu’on espérait ériger en nouvelle vague appelée « Renaissance africaine », il avait déjà choisi ses nouveaux poulains en Afrique centrale et des Grands Lacs : Paul Kagame et Yowéri Museveni. Le premier est à la tête du FPR (Front patriotique rwandais), un mouvement politico-militaire composé essentiellement de tutsis réfugiés en Ouganda après les conflits politico-ethniques les ayant opposés aux hutus en 1959 suite au renversement de la royauté tutsie.
Après l’indépendance en 1962 le Rwanda connut des années de conflit, émaillées de persécutions ethniques par le pouvoir hutu et des tentatives d’invasion du pays par les rebelles tutsi exilés. Malgré une relative stabilité durant une longue période, le pays continuait à vivre dans la dualité ethnique et restait menacé par les mouvements armés des exilés. En 1990 ces derniers furent stoppés par l’armée zaïroise venue au secours du régime rwandais. Un accord dit « d’Arusha », largement favorable au FPR devait permettre d’associer les tutsis au pouvoir et résoudre la question du retour des réfugiés. Mais selon diverses investigations, le chef du FPR, conscient qu’il ne pourra jamais prendre le pouvoir par la voie des urnes dans un Rwanda très ethnicisé, aurait choisi de faire abattre l’avion du Président Habyarimana le 6 avril 1994. Cet acte précipitera le pays dans le chaos à cause de l’extrême tension ethnique prévalant au Rwanda, surtout à cette période. L’armée et des milices hutus fanatisées commettront l’effroyable génocide des tutsis qui marquera à jamais l’histoire de l’Afrique. Après sa prise du pouvoir, le FPR exercera sa vengeance en commettant à son tour de massacres dans des proportions effrayantes dans les camps des réfugiés hutus installés sur le sol congolais. De nombreux témoignages et rapports l’attestent.
Tout porte à croire que la méconnaissance ou la sous-estimation des soubassements des conflits dans cette région a conduit l’administration Clinton à soutenir les projets immodérés de Kagame et de Museveni qui, en réalité, avaient l’ambition de contrôler l’Afrique centrale à partir du Congo et de ses richesses. Certains n’hésitent pas à considérer les Etats-Unis et certains pays occidentaux comme les complices des forfaits rwando-ougandais au Congo. Il est en effet évident que les américains et leurs alliés avaient surtout des visées sur les richesses du Congo auxquelles ils voulaient avoir un accès privilégié par le biais des régimes rwandais et ougandais.
Mais en ouvrant cette boîte de pandore, l’administration américaine réveilla les démons qui ont toujours hanté la région. Nul n’ignore qu’un conflit ethnique oppose depuis des décennies les hutus et la minorité tutsie, et qu’il fallait parvenir à un accord politique pour sortir le Rwanda d’une situation qui trouve ses origines à la fois dans l’iniquité du système monarchique tutsi du Rwanda et dans les conséquences des tous premiers contacts avec les européens. Sur ce second aspect, Dominique Franche explique très bien l’introduction de la dualité nationale au Rwanda par les européens dans son ouvrage sur les origines du génocide rwandais. (Dominique Franche, Généalogie du génocide rwandais, Bruxelles, Ed. Tribord, 2004). Il raconte comment « L’explorateur John Speke, dans son livre à succès Journal of The Discovery of The Source of The Nile (1863) (…) présenta les peuples abyssinien, galla, somalien, hima et tutsi comme les membres de la race conquérante sémito-hamite venue d’Ethiopie ». Ainsi, les premiers récits d’exploration vantèrent « ces caucasoïdes, nos cousins les Hamites, qui régnaient sans partage sur les Hutu, « pauvres nègres » de la race bantoue » (Ibid.)
Cette dualité nationale a gardé toute sa vitalité au Rwanda et au Burundi (pays jumeaux) durant la colonisation allemande qui l’a encouragée et pendant le mandat belge où elle a perduré. Le contact avec l’Europe a introduit comme un poison dans les sociétés précoloniales de cette région et exacerbé les antagonismes entre les ethnies. La résolution de ces conflits nécessitait une approche globale concertée dans le but de trouver des solutions porteuses d’avenir pour les populations. L’ignorance délibérée ou le mépris de cette réalité conflictuelle est une faute politique de l’administration Clinton (avec le concours actif certains pays comme la Belgique, le Royaume-Uni et le Canada) qui a eu comme conséquences la tragédie rwandaise et la désolation au Congo.
Les hommes pressentis pour devenir les nouveaux leaders de la région ne sont pas tous les deux représentatifs de l’Afrique de demain, contrairement à ce que certains médias occidentaux essayent curieusement de faire croire. Ils ne sont nullement porteurs d’une nouvelle vague de la politique en Afrique, supposée être la « Renaissance africaine ». Yoweri Museveni n’est pas franchement démocrate, il dirige l’Ouganda d’une main de fer et n’a autorisé les élections multipartites que dans une période tardive. Pourtant, il a été encensé par l’administration américaine et choyé par la presse occidentale. On a même parlé du « modèle ougandais » : faut-il comprendre un modèle avec des élections non démocratiques ?… A cet égard, on est frappé par la complaisance avec laquelle est traité Museveni - qui n’est plus ni moins qu’un dictateur - par les médias occidentaux (surtout anglophones). Récemment, lors d’un conflit à caractère ethnique qui avait opposé son pouvoir au chef traditionnel de l’ethnie majoritaire de l’Ouganda, on l’a entendu de vive voix menacer sur les ondes des médias internationaux que « tout émeutier qui s’en prendra aux forces de l’ordre sera tué ». (Souligné par l’auteur. Déclaration diffusée par RFI en septembre 2009). Voilà pour la mentalité. Que n’aurait-on pas dit si « le modèle ougandais » de démocratie était instauré au Congo... D’ailleurs peut-on imaginer un pays européen adopter ce modèle ou est-ce uniquement acceptable en Afrique ?
Quant à Paul Kagame, il s’avérera être un homme controversé, que beaucoup accusent même d’être sanguinaire. Plusieurs ouvrages sont venus éclairer sur sa personnalité et sur la tragédie rwandaise. Charles Onana a démontré comment l’assassinat des présidents hutus rwandais et burundais dans le même avion par le FPR a déclenché le génocide. Il a également dénoncé le scandale que représente le silence de la communauté internationale et celui des Nations Unies qui n’ont, à ce jour, toujours pas diligenté une vraie enquête internationale sur l’assassinat de deux chefs d’état africains en fonction ! (Charles Onana, Silence sur un attentat. Le scandale du génocide rwandais, Paris, Ed. Duboiris, 2005). En comparaison, l’assassinat de l’ancien premier ministre libanais Rafik Hariri a donné lieu à une enquête de l’ONU débouchant sur une procédure judiciaire à l’encontre des responsables présumés et a valu à la Syrie des condamnations et des ennuis diplomatiques. Pierre Péan a quant à lui effectué une magistrale enquête dans laquelle la genèse de la tragédie est mise en lumière et le vrai visage de Paul Kagame dévoilé. (Pierre Péan, « Noires fureurs, blancs menteurs », Paris, Mille et une nuits, 2005). Ses investigations sont corroborées par le témoignage d’Abdul J. Ruzibiza, (Ce témoin s’est depuis curieusement rétracté) ancien du Network commando de Paul Kagamé, qui relate l’histoire de la guerre du FPR et accuse son ancien chef d’avoir fait passer sa soif du pouvoir avant la vie de ses compatriotes. (Abdul Joshua Ruzibiza, « Rwanda. L’histoire secrète », Paris, Panama, 2005). Enfin, Bernard Débré, ancien ministre français de la coopération, a évoqué « le retour du Mwami », c’est-à-dire de l’ancien pouvoir tutsi qui était fondé sur l’hégémonie ethnique, en parlant du nouveau pouvoir de Kigali. (Bernard Débré, La véritable histoire des génocides rwandais, Paris, Jean-Claude Gawsewitch Editeur, 2006).
Dans toute cette tragédie, ce sont les populations qui ont payé le plus lourd tribut, notamment les tutsis, victimes malheureuses d’un génocide des plus abominables qui a fait la honte de l’Afrique à l’aube du 21ème siècle, et les hutu modérés suspectés de trahison. Les populations rwandaises ont vécu un martyr sur lequel la communauté internationale porte une grande responsabilité pour n’avoir pas su intervenir et arrêter cette abomination. D’autre part, on sait aujourd’hui, d’après plusieurs sources concordantes, que les populations hutu réfugiées au Congo furent également soumises à une vengeance implacable menée par les troupes du FPR qui fit un nombre de victimes effrayant. Enfin et surtout, les populations congolaises ont eu à subir des malheurs outranciers provoqués par un conflit auquel elles ne sont pas partie prenante et qui a fait au Congo un nombre de victimes comparable à ceux des plus grands conflits du siècle dernier. En effet, selon les sources on évoque des chiffres atteignant ou dépassant les 5 millions de morts…
(A suivre)
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