BALA BALA YA L'ÉTAT
À travers cette expression se résume notre conception de l'État comme puissance publique, qui veille normalement à la régulation de tous les aspects de la vie sociale, maintient l'ordre et la sécurité, et pourvoit aux besoins des populations et à leur aspiration à une meilleure vie.
Cependant nous avons du mal à cerner ce qu'est réellement l'État. Cette confusion trouve sa genèse dans l'origine même du “Bulamatari" (déformation swahilie de l'expression en Kikongo “Bula Matadi” [qui signifie casseur de pierres] par les porteurs zanzibarites de Stanley). Ce dernier avait personnifié la puissance publique en traçant les premières routes de la colonie à coups de masse à travers les collines rocheuses qui longent le fleuve Congo, en amont de son embouchure.
Ce travail était contraint et pénible pour les populations qui y furent assignées et qui ne saisirent pas exactement son utilité ultime pour elles-mêmes.
Et pour cause, la mission de Stanley n'était pas de servir les intérêts des autochtones.
Ainsi, cette nouvelle notion qu'est l'État apparaîtra dans l'univers des communautés autochtones comme une construction oppressive, agissant par coercition.
Cette réalité sera renforcée après la première structuration de la colonie sous Léopold II par le travail forcé et l'extrême cruauté qui lui était attachée. Plus tard, les assignations de quotas de production, l'impôt multiforme et les corvées (entretien des voies, travaux champêtres etc) accentueront cette perception de l'État comme oppresseur, d'autant qu'en retour le bénéfice des bienfaits dits civilisationnels était battu en brèche par le mépris racialiste, la violence systémique, les injustices et les inégalités ambiantes.
Tout cela a eu comme conséquence d'intensifier l’extranéité de la notion de l'État dans l'inconscient collectif.
C'est ainsi que nous ne nous sommes jamais suffisamment approprié cette notion de l'État comme une superstructure collective ; pour laquelle nous sommes appelés à donner la meilleure part de nous-mêmes.
Bala bala etali l'État (la route c'est l'affaire de l'État)
Ce postulat que nous avons collectivement intériorisé induit les modes de pensée suivants :
- Chacun y fait la loi. D'où l'incivisme routier, l'incivisme marchand et autres désordres comportementaux (d'ailleurs les agents de l'État oppresseur viennent apporter leur part de désordre en nous rackettant sur la voie publique). C'est ainsi qu'on dit d'une personne mal élevée : "comportement ya bala bala"
- L'entretien de la route, sa propreté, ce n'est pas mon problème, c'est à l'État de se débrouiller.
- Je balance les eaux sales et les immondices de ma parcelle sur la route, car elle appartient à l'État, etc…
Bref, la voie publique c'est la poubelle...
C'est de cette manière que des plus démunis des citoyens aux plus nantis nous agissons. Nos milieux de vie en témoignent :
Les belles villas des riches et des dirigeants (parfois ceux-là même qui sont chargés de l'entretien des infrastructures) débouchent sur des routes défoncées, non entretenues, sales et boueuses, sans que cet environnement insalubre ne soit le moins du monde incommodant.
On s'enferme dans sa propriété luxueuse, dotée de piscine et de jardin aux pelouses impeccablement tondues, mais à l'extérieur, la route qui y mène ne paie pas de mine.
Cette insouciance généralisée et cet égoïsme malsain, qui priorise notre “chez soi" au détriment de l'espace de vie partagé, nous ravalent au rang d'êtres indignes et irresponsables…
Et comment s'étonner de la carence des infrastructures routières en RDC lorsque l'État reste perçu comme une entité informe dont on doit se servir, et non pas celle que l'on doit servir ?
Charles Kabuya
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