Le Blog de Charles Kabuya

CE QUE DISAIT DEJA KWAME N'KRUMAH EN 1963 SUR L'UNITE AFRICAINE

 

Voici un extrait du discours prononcé en 1963 à la tribune de l'OUA par le premier président du Ghana, N'kwame Krumah, qui fut l'un des précurseurs de l'union africaine. Ses propos se révèlent d'une actualité brûlante encore aujourd'hui. Sa lucidité n'est pas démentie par l'évolution poussive des pays africains, dont certains connaissent d'ailleurs une regression dans plusieurs domaines qui sont en lien avec le développement économique et social.

 

J'estime qu'il est utile pour la jeunesse africaine de connaitre et de se saisir de ces idées qui furent à l'avant-garde du mouvement pour l'émancipation africaine et le panafricanisme. Il apparait également que dans la vision de Krumah, le Congo reste l'atout majeur du développement du continent et un pays qui symbolise la prédation à laquelle l'Afrique a été livrée durant des siècles...

 

Notre continent est probablement le plus
riche du globe, au point de vue de la production de minéraux et de matières
premières pour l’industrie et l’agriculture. Du seul Congo, des firmes
occidentales ont exporté du cuivre, du caoutchouc, du coton et bien d’autres
produits encore, à concurrence de 2.773.000.000 de dollars, au cours de la
décennie 1945-1955. De l’Afrique du Sud, les sociétés qui exploitent les mines
d’or ont tiré, au cours des six années 1947-1951, des bénéfices de 814
milliards de dollars.

 

Très certainement, notre continent
dépasse tous les autres dans son potentiel d’énergie hydro-électrique, qui,
d’après l’évaluation de certains experts, représente 42 pour 100 du total
mondial. Quel besoin avons-nous de rester employés à couper le bois et à puiser
l’eau pour les zones industrialisées du monde ?

 

Evidemment, on dit que nous n’avons pas
de capitaux, de techniques industrielles, de voies de communication, de marchés
intérieurs, et que nous ne parvenons même pas à tomber d’accord entre nous sur
la meilleure façon d’utiliser nos ressources pour nos propres besoins sociaux.

 

Et pourtant toutes les bourses du monde
se préoccupent de l’or, des diamants, de l’uranium, du platine, des minerais de
cuivre et de fer qui existent en Afrique. Nos capitaux coulent en véritables
torrents pour irriguer tout le système 
de l’économie de l’Occident. On considère que cinquante deux pour cent
des réserves d’or détenues actuellement à Fort Knox, où les Etats-Unis
d’Amérique emmagasinent ces réserves, proviennent de nos côtes. L’Amérique
fournit plus de 60 pour 100 de l’or mondial. Une grande quantité de l’uranium
employé pour l’énergie nucléaire, du cuivre employé pour l’électronique, du
titanium utilisé pour les projectiles supersoniques, du fer et de l’acier utilisés
par les industries lourdes, des autres minéraux et des autres matières
premières employés par les industries les plus légères – en fait les bases
mêmes du pouvoir économique des puissances étrangères – proviennent de notre
continent. Des experts ont estimé qu’à lui seul le bassin du Congo peut
produire suffisamment de récoltes alimentaires pour satisfaire aux besoins de
près de la moitié de la population du monde entier. Et nous sommes assis ici à
parler de régionalisme, de progression graduelle, d’une étape après l’autre.
Avez-vous peur de saisir le taureau par les cornes ?

 

Pendant des siècles, l’Afrique a été la
vache à lait du monde occidental. N’est-ce pas notre continent qui aida l’Occident
à construire ces richesses accumulées ?

 

Nous avons les ressources. C’est en
premier lieu le colonialisme qui nous a empêchés d’accumuler le capital
effectif, mais par nous-mêmes, nous ne sommes pas parvenus à utiliser
pleinement notre puissance dans l’indépendance, pour mobiliser nos ressources
afin de démarrer de la façon la plus efficace dans une expansion économique et
sociale aux profondes répercussions. Nous sommes trop exclusivement consacrés à
guider les premiers pas de chacun de nos Etats pour comprendre pleinement la
nécessité fondamentale d’une union dont les racines puisent dans une résolution
commune, une planification commune, et des efforts communs. C’est seulement en
unissant notre capacité de production et les richesses qui en résultent que nous
pouvons amasser des capitaux. Avec des capitaux gérés par nos propres banques,
consacrés à notre véritable expansion industrielle et agricole, nous pourrons
progresser. Nous accumulerons le matériel industriel, nous pourrons créer des
aciéries, des fonderies de fer et des usines ; nous unirons les divers Etats
de notre continent en créant des voies de communication ; nous étonnerons
le monde avec notre puissance hydro-électrique ; nous assécherons les
marais et les marécages, nous purifierons les zones infestées, nous nourrissons
ceux qui sont carencés, nous débarrasserons nos populations des parasites et
les maladies. 

 

Une Afrique unie offrira un secteur
stable aux investissements étrangers dont nous encourageons l’apport tant
qu’ils ne se comporteront pas en ennemis de nos intérêts africains, car de tels
investissements doivent renforcer l’expansion de l’économie de notre continent,
l’emploi de notre main d’œuvre, la formation technique de nos travailleurs et
l’Afrique les accueillera favorablement.  

 

Amoins que nous puissions créer en Afrique de puissants complexes industriels –
ce qui n’est réalisable que  dans une
Afrique unie – nous devons laisser notre paysannerie à la merci des marchés
étrangers qui achèvent leurs récoltes et nous devrons faire face à la même
impatience qui renversa les colonialistes.  

 

Aussi longtemps que nous ne pourrons
créer de grands complexes industriels en Afrique, quels bénéfices le
travailleur des villes et des pays qui cultivent des terres surchargées
d’habitants auront-ils retirés de l’indépendance politique ? S’ils doivent
rester chômeurs ou attachés à des tâches réservées à la main d’œuvre non
spécialisée…

 

C’est à peine s’il existe un seul Etat
africain qui n’ait un problème de frontière avec les Etats limitrophes. Il
serait inutile que je les énumère, car ces problèmes vous sont déjà familiers.
Mais que vos Excellences me permettent de suggérer que ce vestige fatal du
colonialisme risque de nous entrainer dans des guerres intestines… Tant que
nous n’aurons pas réussi à mettre un terme à ce danger, par la compréhension mutuelle
des questions fondamentales et par l’unité africaine qui rendra périmées et
superflues les frontières actuelles, c’est en vain que nous aurons combattu
pour l’indépendance. Seule l’Unité africaine peut cicatriser cette plaie
infectée des litiges frontaliers entre nos divers Etats.

 

Nous sommes parvenus à l’âge de la
planification socialisée, où la production et la répartition des biens auront
cessé d’être régies par le chaos, l’intérêt personnel, mais seront dirigées par
les besoins sociaux. En même temps que le reste de l’humanité, nous nous
éveillons des rêves de l’utopie pour mettre sur le papier des plans pratiques
de progrès et de justice sociale.

 

Si nous n’abordons pas les problèmes de
l’Afrique avec un front commun et une résolution commune, nous perdrons notre
temps en marchandage et en arguments vides jusqu’au moment où nous serons de
nouveau colonisés et nous serons devenus des instruments d’un colonialisme bien
plus puissant de celui dont nous avons souffert jusqu’à présent.

 

Cette union, nous devons la réaliser,
sans sacrifier nécessairement nos diverses souverainetés, grandes ou
petites,  nous avons, dès maintenant et
ici même forgé une union politique fondée sur une défense commune, des affaires
étrangères et une diplomatie commune, une nationalité commune, une monnaie
africaine, une zone monétaire africaine et une Banque centrale africaine. Nous
devons nous unir afin de réaliser la libération intégrale de notre continent.
Il nous faut  créer un système de défense
commune, dirigé par un commandement suprême africain, pour assurer la stabilité
et la sécurité de l’Afrique.

 

Or, au lieu d’adopter une telle
attitude, plusieurs Etats africains indépendants sont liés par des pactes
militaires avec les anciennes puissances coloniales. La stabilité et la
sécurité que de tels procédés cherchent à établir sont illusoires, car les
puissances métropolitaines saisissent cette occasion pour appuyer leur
domination néo-colonialiste en impliquant la puissance africaine dans une
entente militaire. Nous avons vu de quelle façon les néo-colonialistes
utilisent leur base pour se retrancher et même pour attaquer les Etats voisins
indépendants. De telles bases sont des centres de tension et des points de
danger potentiel de conflits militaires. Elles menacent la sécurité non
seulement du pays où elles sont situées, mais aussi des pays limitrophes.
Comment pouvons-nous espérer faire de l’Afrique une zone franche dénucléarisée
et libre de toute pression exercée par la guerre froide, lorsque notre
continent est impliqué de cette façon dans les questions militaires ? Ce
n’est qu’en équilibrant une force commune de défense par un désir commun de
réaliser une Afrique libre de tout lien imposé par un diktat étranger ou une
présence militaire et nucléaire. Il faudra pour cela un commandement suprême
africain dont l’autorité s’exerce sur tout le continent, tout particulièrement
si l’on doit renoncer aux pactes militaires conclus avec les impérialistes.
C’est le seul moyen de parvenir à briser ces liens directs entre le colonialisme
du passé et le néo-colonialisme…

 



08/07/2012
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