COLONISATION : DEVOIR DE MÉMOIRE OU DE GRATITUDE ?
S’il est un débat récurrent sur la colonisation, c’est celui qui oppose ceux qui considèrent que celle-ci a apporté les bienfaits de la « civilisation » aux peuples colonisés à ceux qui estiment qu’elle fut essentiellement assimilable à un crime contre des peuples qui furent aliénés, acculturés et méprisés, sans parler de la violence qui lui était inhérente : exactions, racisme, esclavage, déportations etc.
Parmi les défenseurs de la colonisation on trouve en occident une certaine droite, proche de l’extrême, qui relaie le discours suranné sur les bienfaits de la colonisation. L'entreprise coloniale est ainsi considérée (avec nostalgie) comme un épisode glorieux de l’histoire de leurs pays. Mais paradoxalement, on trouve également en Afrique des défenseurs de la colonisation qui recourent à cette même rhétorique brandie par les nostalgiques de la domination occidentale. Pire, au Congo il se trouve des gens qui vont jusqu’à estimer que nous devons une gratitude au Roi des belges, Léopold Il (oui, celui-là même dont l’administration du territoire est coupable des mains coupées et de l’holocauste perpétré sur les populations du bassin du Congo). Selon ces « intellectuels », nous devons essentiellement une reconnaissance éternelle à Léopold Il pour avoir "créé" le Congo ! Ceci en dépit de tout ce que l’histoire a révélé de son entreprise sur le sol africain...
Je suis souvent surpris par cette attitude "prostrée" que nous avons par rapport à notre histoire, alors que la colonisation est un fait banal dans l'histoire des civilisations. Pourquoi devrions-nous ressentir une obligation de gratitude envers une entreprise d'exploitation féroce et un système où notre place était au pied du maître? (Parce que nous sommes africains?) Que ce système se soit emparé d'un territoire et l'aie configuré dans ses dimensions actuelles, y englobant maintes ethnies et tribus autochtones, ne répondait qu'à ses propres intérêts et non à un dessein politique visant à créer un pays voué à être libre, avec des droits égaux pour ses citoyens. Pour preuve, il a tenté de le dépecer lorsque ses intérêts n'étaient plus en phase avec le destin du pays, juste après son indépendance.
C'est à notre seule volonté que nous devons d'être unis jusqu'à ce jour, c'est à ce "virus" nationaliste inoculé par la frange unitaire de nos pères de l'indépendance que nous devons notre nation et la pérennité du Congo en tant qu'état. D'ailleurs, le Congo est une évidence : c'est un bassin fluvial dont le fleuve-mère (sans jeu de mots) parcourt tout le territoire en une boucle de 4700 Km. Imaginez que ce majestueux fleuve traverse plusieurs petits états... Quel casse-tête ce serait pour assurer son exploitation paisible par tous les riverains en terme de navigation ou de pêche, quels conflits cette situation générerait... On peut le constater à travers ce qui se passe avec le Nil. Les pays traversés par ce fleuve ont dû mettre en place des accords alambiqués pour préserver leurs intérêts. L'Égypte menace ouvertement d'intervenir militairement si les eaux du Nil étaient détournées par un quelconque pays. D'ailleurs des officiers égyptiens sont présents dans les pays concernés dans le cadre d'un mécanisme de contrôle de l'usage des eaux du Nil...
Si dans le bassin du Congo l'histoire avait continué son cours autrement, d'une façon ou d'une autre les entités existantes, érigées en états modernes, auraient fini par mettre en place une superstructure afin de gérer la continuité inéluctable du bassin du fleuve Congo.
Pour conclure, si on suivait cette logique de gratitude prostrée, la Belgique devrait une reconnaissance aux français pour l'avoir créée. En effet, ce sont les révolutionnaires français qui unifièrent la Principauté de Liège et les Pays-Bas méridionaux qui deviendront la Belgique actuelle. Alors qu'auparavant ce territoire était composé de petits états épars, sous domination de plusieurs puissances de l'époque, dont les autrichiens et les espagnols. Quant à la France, elle devrait une gratitude éternelle à Jules Cesar qui unifia les tribus celtes dans ce qu'il nomma La Gaule, et qui deviendra plus tard la France...
Non, au Congo nous sommes les acteurs de notre propre unité, les catalyseurs du ferment de notre propre nation, au milieu de prédateurs qui n'ont jamais cessé de caresser le rêve de notre éclatement. Léopold Il ne nous a pas créés, il s'est juste emparé d'une part de gâteau substantielle à la conférence de Berlin...
Charles Kabuya
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 141 autres membres