Le Blog de Charles Kabuya

DE LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉFORME URGENTE DE LA TERRITORIALE EN RDC

 

La récente convocation par le VPM de l'intérieur des gouverneurs de deux provinces majeures de la RDC, celui du Haut Katanga et celui de la capitale Kinshasa, alors qu'ils viennent à peine d'être élus, ainsi que l'injonction leur faite de stopper le processus d'investiture devant les assemblées provinciales, sont symptomatiques d'un malaise au sein de la territoriale qui appelle des observations et nécessite de trouver des pistes de réformes.

 

La constitution congolaise organise le fonctionnement des provinces et des entités territoriales décentralisées, notamment en son article 3 qui leur confère la libre administration et l’autonomie de gestion de « leurs ressources économiques, financières, techniques et humaines » ; tandis que les articles 195 à 205 définissent leur mode de fonctionnement politique et répartissent les compétences entre le gouvernement central et les gouvernements provinciaux.

 

Cette architecture, héritée de la Loi fondamentale de 1960, elle-même inspirée du modèle constitutionnel belge de l'époque, est caractéristique d'une volonté du constituant de décentraliser le pouvoir après plusieurs décennies de centralisation à outrance, qui a sclérosé la gestion du pays et pénalisé son développement.

 

Mais, malgré les attentes des Congolais après la mise en place de cette nouvelle organisation institutionnelle des provinces, qui promettait une gestion plus efficace et un plus grand rapprochement avec les administrés pour booster le développement local et sortir nos provinces de l'abandon dans lequel la plupart stagnent, force est de constater que malheureusement le remède semble inopérant, et parfois pire que le mal, au point que certains en viennent à clamer leur nostalgie des anciennes grandes provinces sans assemblées provinciales et dirigées par des gouverneurs nommés par le pouvoir politique.

 

Soyons d'emblée clairs : ce modèle très centralisé et autoritaire a fait son temps et a pénalisé la RDC. Les dimensions sous-continentales de notre pays et l'importance croissante de sa population nécessitent d'avoir des provinces moins gigantesques et une décentralisation optimisée. Il n'est donc pas question de remettre en question l'architecture constitutionnelle de la territoriale, mais plutôt de tirer les conséquences de ses dysfonctionnements pour la réformer. L'évolution c'est l'adaptation disent les anthropologues…

 

Il nous faut ainsi poser un diagnostic sur les blocages (qui sont essentiellement politiques) du fonctionnement de nos provinces. Blocages qui annihilent tous les efforts pour placer la bonne gouvernance au cœur de la gestion provinciale et initier le développement local pour améliorer les conditions de vie de nos populations de l'arrière pays.

Le fléau de l'exode rural constaté dans les grands centres urbains du pays, en particulier à Kinshasa et dans le Haut Katanga, est une conséquence de l'abandon dans les ténèbres du sous-développement d'un grand nombre de provinces. 

Ce phénomène génère des tensions sociales qui menacent la cohésion nationale. D'où l'urgence de saisir le taureau par les cornes pour rechercher des pistes de réformes, car il en va de l'avenir du pays. 

La pauvreté et le sous-développement sont sources de conflits et de régressions.

 

Pour revenir sur le diagnostic, la source des problèmes est éminemment notre personnel politique, dont l'avidité du pouvoir dispute à la cupidité financière.

Comme je l'ai déjà dit dans une autre publication, le mandat politique est considéré comme un investissement personnel qui doit être financièrement rentabilisé à travers le monnayage des voix aux assemblées provinciales. Ceci que ce soit pour l'élection des membres du bureau, l'élection du ticket exécutif de la province (Gouverneur et Vice-gouverneur) ou du soutien au gouvernement provincial (sans oublier l'élection des sénateurs qui est également une occasion de faire ses choux gras…)

 

Ainsi le chantage est permanent, l'exécutif provincial est constamment à la recherche des moyens pour satisfaire l'appétit glouton des députés provinciaux et se prémunir contre toute motion pouvant le déchoir. Les finances de la province en sont affectées et les divers stratagèmes laissent peu de place à une gestion saine et apaisée, la corruption étant le moyen privilégié pour pouvoir “tenir les troupes”...

 

C'est ainsi que la rétribution politique a également remplacé la répartition constitutionnelle des portefeuilles ministériels dans les gouvernements provinciaux, qui doit, comme dispose la constitution, être le reflet de la composition de l'assemblée provinciale, le critère des compétences n'étant pas ignoré. 

Sauf que les élus les plus influents et les personnalités ayant une certaine “capacité de nuisance” seront rétribués de préférence par un maroquin ministériel afin soit de les neutraliser, soit de s'assurer de leur soutien obligé.

 

Au final, l'action de l'exécutif en pâtit, il devient moins performant, budgétivore et surtout un frein au développement de la province. Dans certains cas, les désaccords constants avec les assemblées provinciales conduisent à des renversements répétés des gouverneurs et de leurs gouvernements, dont le contentieux finit parfois par traîner en longueur devant les juridictions, neutralisant, et l'action de l'exécutif, et le travail des assemblées provinciales.

 

Ce jeu permanent du chat et de la souris est l'une des causes principales de l'échec du fonctionnement de nos provinces, mesuré à l'aune de nos espoirs d'une meilleure gouvernance et des attentes du développement local par nos populations.

 

CONCLUSION 

Il appert de ces observations qu'une réforme s'impose dans l'urgence. Elle devrait rester dans l'esprit des principes fondamentaux déjà acquis : la démocratie et la décentralisation.

 

Il me paraît possible d'agir sur les deux sans les dénaturer.

Je pense à la possibilité d'instaurer un délai incompressible de “courtoisie”, qui serait par exemple une interdiction de toute motion de censure à l'encontre du gouvernement provincial durant les 18 premiers mois suivant son investiture. 

Ou alors une option plus radicale (mais plus onéreuse) qui serait qu'en cas de renversement de l'exécutif provincial, le Président de la république dissout également l'assemblée provinciale. La CENI organise de nouvelles élections du gouverneur et des députés provinciaux dans la province.

Enfin, certains évoquent une réforme qui tendrait à élire le gouverneur au suffrage universel. Mais je trouve que cette solution a des implications plus élargies, car logiquement le gouverneur ne serait plus responsable devant les députés provinciaux. Cette superposition des légitimités compliquerait la situation.

Sur ce point, je pencherais plutôt pour un élargissement de l'électorat à tous les détenteurs d'un mandat électif dans la province (conseillers communaux et urbains). Toutefois le mécanisme de contrôle de l'assemblée provinciale devra également être repensé dans cette hypothèse.

Bien entendu, ces réformes ne seraient pas irréversibles, mais elles tendraient d'abord à corriger les dysfonctionnements.

 

Une autre polémique juridico-politique concerne la taille du gouvernement provincial. La constitution est claire là-dessus, son article 198 limite le nombre des ministres provinciaux à 10.

Cependant, certaines provinces sont immenses ou très peuplées, objectivement elles peuvent nécessiter d'avoir une équipe gouvernementale plus conséquente pour pouvoir être efficace. C'est pourquoi le recours aux commissaires généraux s'est généralisé dans certaines provinces, à l'image de Kinshasa et du Haut Katanga, qui sont justement sur la sellette pour avoir dépassé le nombre (toléré jusqu'à présent) de 5 commissaires généraux.

Il est toutefois légitime de penser que ce dépassement, qui a été indexé, est une conséquence des pressions et contraintes subies par le gouverneur élu, comme on l'a vu plus haut…

Quoique les provinces bénéficient constitutionnellement de la libre administration, le problème réside surtout dans le fait que les commissaires généraux, n'étant pas ministres, ne sont pas responsables devant l'assemblée provinciale.

 

C'est pourquoi, afin de ne pas énerver l'article 198 de la constitution, je propose de les nommer “COMMISSAIRES DÉLÉGUÉS AUPRÈS DU GOUVERNEUR” (en abrégé “Commissaires délégués”)

Ainsi, c'est le gouverneur qui répondrait d'eux devant l'assemblée provinciale.

 

Cette clarification sémantique aura le mérite d'éviter le porte-à-faux avec la constitution…

 

Maître Charles Kabuya



01/07/2024
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