Le Blog de Charles Kabuya

ENJEUX ET PROBLEMATIQUE DU DEVELOPPEMENT DURABLE POUR LES PAYS DU SUD

 

Ce texte est le second extrait de mon livre "L'AFRIQUE A UN TOURNANT: INTEGRATION ET DEVELOPPEMENT DURABLE" que je mets en ligne. La parution du livre est prévue cette année. C'est aussi le texte de ma contribution lors d'une récente conférence sur le développement.

 

La réflexion engagée depuis la conférence de  l’ONU sur le développement et l’environnement à Rio de Janeiro en 1992, au cours de laquelle fut popularisé le concept de développement durable, est au cœur de la question du développement pour les pays africains. En effet, il est impératif de concevoir le développement en tenant compte de l’environnement dans sa globalité et de la durabilité des ressources naturelles.  De ce point de vue, la mondialisation de l’économie contemporaine constitue un défi nouveau pour ces pays qui aspirent à émerger.

 

 

LE CONCEPT DE DEVELOPPEMENT DURABLE ET SES ENJEUX

 

 

La littérature est très abondante sur les origines et le contenu du  concept de développement durable, mais il se détache un consensus pour  considérer que c’est la Commission Brundtland,  instaurée par l’Assemblée Générale des Nations-Unies en 1983, qui a officialisé ce concept dans son rapport de 1987 intitulé « Notre avenir à tous » (Commission Brundtland, Notre avenir à tous, Montréal, Ed. du Fleuve, 1988). Il y est dit notamment qu’il s’agit  d’un « développement qui répond aux besoins du présent, sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs ». De ce point de vue la  conférence de Rio de Janeiro fut un véritable signal d’alarme. C’est le mode de développement qui fut remis en question, car les problèmes écologiques posés par l’économie contemporaine sont nombreux : la destruction de la couche d’ozone, l’effet de serre, les déchets nucléaires et chimiques, la question des énergies et de l’eau, l’urbanisation débridée etc. 

 

 

Si le constat selon lequel la planète est en danger est bel et bien fait, l’objectif du développement durable ne semble pas unanimement acquis. Sur le concept même de « développement durable » des divergences considérables existent, et les points de vue sont controversés entre les pays du Nord et ceux du Sud sur sa définition. C’est ce que relève par exemple l’économiste anglaise Diana Mitlin dans son analyse du concept (MITLIN Diana, « Sustainable Development : A guide to littérature » in Urbanisation and environnemental, n° 4, 1992). Selon elle, la conception du développement durable par les pays du Nord semble privilégier l’aspect durabilité plutôt que l’aspect  développement durable. Cette vision se focalise sur la façon de préserver l’environnement sans toucher au mode de vie. Quant aux pays du sud, ils revendiquent une plus  grande préoccupation pour l’aspect développement qui est vital pour tous les peuples.

 

 

L’auteur constate également des divergences sur les conditions de réalisation d’un développement durable. En effet, d’après certains théoriciens, seule la croissance économique pourra permettre d’éviter une exploitation encore plus intense des ressources naturelles, car elle est à même de fournir les ressources nécessaires aux besoins du développement. C’est-à-dire que pour les tenants de ce point de vue, la pauvreté est encore plus dangereuse pour l’environnement dans la mesure où ce dernier subit des dégradations parfois irréversibles de la part des populations démunies qui cherchent à survivre à n’importe quel prix. C’est le cas notamment de la déforestation d’HAITI.  En revanche, selon d’autres points de vue, le caractère continu et intensif de la croissance est un facteur de danger pour l’environnement, il conduit nécessairement à l’épuisement des ressources partout où elles sont localisées.

 

 

Comme on peut le voir, ce concept comporte deux composantes : le développement qui comprend la croissance économique et la satisfaction d’un certain nombre de besoins de base et des droits, et puis la durabilité qui nécessite la prise en compte des contraintes environnementales.

 

 

Pour sa part, la Commission mondiale de l’environnement et du développement  avait mis l’accent sur la nécessité pour tous les êtres humains « de répondre aux besoins de la génération présente sans compromettre la satisfaction des besoins de la génération future ».  Sa stratégie insiste sur la conservation  qui est destinée  à maintenir le processus écologique essentiel grâce à la préservation de la diversité génétique et de garantir une utilisation raisonnable des espèces et des écosystèmes.  De nombreuses critiques  ont été faites à cette définition considérée comme plus axée sur l’environnement et sa durabilité que sur le développement durable. De plus elle semble ne pas prendre en compte l’impact majeur des facteurs politiques  et économiques qui sont à la base de la  non durabilité, tout comme l’impact du mode de vie gaspilleur des pays occidentaux.

 

 

Plusieurs autres définitions du développement durable ont été faites par des auteurs ayant des conceptions et des sensibilités différentes. Il est difficile de toutes les aborder, mais certaines paraissent beaucoup plus significatives et représentatives du débat actuel. En 1989, l’économiste David Pearce a donné une définition du développement durable plus axée sur l’économie mais impliquant des politiques prévisionnelles. Pour lui la croissance économique est distincte du développement économique qui consiste en l’exigence pour la génération actuelle de conserver une base suffisante pour la suivante. (Pearce David et al., Sustainable Development Economic and Environment in the Third World, London, Earthscam Publications, 1989).

 

 

Un autre auteur, John Pezzy a proposé une définition qui présente la durabilité et le développement sous une forme de modèles mathématiques. Il considère que le développement durable exige un bien-être supérieur avec un niveau minimum de croissance, cette dernière étant cependant durable sur le plan écologique. (Pezzy John, Economic Analysis of Sustainable Development, Department Working Paper n°15, World Bank, Washington, 1989).

 

 

Dans sa critique de l’idéologie de la croissance, H.E. Dalty estime quant à lui  que « l’intérêt du concept de développement durable provient de la conscience que le niveau contemporain des consommations per capita des économies des Etats-Unis et de l’Europe Occidentale ne peut être généralisé pour tous les peuples existants, et moins encore pour les futures générations, sans destruction des ressources écologiques sur lesquelles reposent l’économie elle-même ». (Dalty H.E., The Economic Growth Debate: What some econiomists have learned but many have not ?Journal of Environmental Economic and Management  n°14, 1987). 

 

 

La définition donnée par l’économiste Michael Redclift est, quant à elle, axée sur deux orientations intellectuelles traditionnellement opposées. Il y a d’abord celle qui tient compte principalement du potentiel de développement  immanent à la nature et puis celle qui tient compte uniquement de la nature. Il considère qu’en définitive le développement durable n’est pas simplement un compromis entre les contraintes environnementales et le processus de croissance économique, car les limites de la durabilité sont d’origine structurelle et naturelle. Il y a différentes perceptions de l’environnement  qui selon lui sont « construites socialement et portées par des groupes ayant des degrés divers de pouvoir et des intérêts économiques conflictuels ». (Redclift Michael, Sustainable Development : Exploring Contradictions, New York,  Methuen, 1987).

 

 

Pour sa part, Francis G. Adams met l’accent  sur la question centrale du pouvoir de décision, car l’exploitation de la nature, qui est liée au développement, fait partie d’un processus économique et politique qui est plus large. Pour parvenir à un équilibre entre les contraintes  de la nature et le développement,  il est absolument nécessaire de pratiquer une économie politique appropriée. Il met également l’accent  sur le fait que le développement durable doit être seulement  le début  d’un processus et non l’aboutissement. Mais le trait essentiel de sa définition est qu’il analyse le développement durable comme un concept essentiellement synthétique, qui n’a pas de base théorique et sur lequel peut être amalgamé différentes conceptions du développement. (Francis  G. Adams, Econometric Module of World Agricultural Commodity Markets, Cambridge, Massachusetts, Bellinger Pub, 1976).

 

 

Enfin, il faut noter la démarche du sociologue François Houtart qui réfute le terme durable au motif qu’il sert d’alibi pour des politiques qui ne cadrent pas avec une des conditions primordiales du développement qui est la modification des rapports sociaux dans la production. Il voit ici une « compromission » afin que le concept de développement durable puisse faire carrière dans le contexte économique libéral actuel. Aussi préfère-t-il recourir au terme d’éco-developpement alternatif : « il s’agit de créer des nouveaux rapports sociaux de production, qui répondent, en même temps, à l’impasse de la destruction des ressources naturelles non-renouvelables, de la pollution et du dérèglement écologique »  (François Houtart et François Pollet (Coordinateurs), « L’Autre Davos. Mondialisation des résistances et des luttes », L’Harmattan, Paris, 1999)

 

 

QUELLE MARGE DE DEVELOPPEMENT POUR LES PAYS DU SUD ?

 

 

Devant la préoccupation écologique planétaire, des pays du Sud jadis encensés car ayant adoptés le modèle de l’économie capitaliste ou libérale sont aujourd’hui critiqués par le Nord. C’est par exemple le cas de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) qui n’a pas hésité à déclarer que le plus grand danger pour l’environnement mondial est aujourd’hui la croissance économique des grands pays d’Asie, notamment la Chine et l’Inde, les dragons (Corée du sud, Taïwan, Hong Kong, Singapour) et les tigres (Thaïlande, Malaisie, Indonésie). Cette critique s’est focalisée ces dernières années sur les pays a fort potentiel de croissance désignés par l’acronyme B.R.I.C.S (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) Pourtant la plupart des pays émergents ont été longtemps présentés comme des modèles de développement. Depuis quelques années ils sont également la cible de critiques portées par de nombreux auteurs, dont l’un faisait déjà remarquer en 1995 que : « se développer d’abord, tenter de corriger les effets néfastes de l’expansion par la suite : ce laxisme a provoqué une situation de plus en plus intenable en Malaisie, à Singapour, en Thaïlande, en Indonésie, au Vietnam. La pollution et les atteintes à l’environnement y prennent des proportions considérables » (Jean-Claude Pomonti, l’Asie défigurée, in le monde,  17 juin 1995) Ce modèle de développement expose ces pays à la question qui va devenir majeure pour le futur de notre planète : comment se développer sans porter atteintes aux équilibres écologiques?

 

 

Sur cette question et d’autres qui concernent les évolutions politiques, économiques et sociales dans le tiers-monde, curieusement on a même assisté à une forme de culpabilisation des sociétés du Sud dans l’opinion publique occidentale : « La déforestation, l’urbanisation sauvage, la production de CO² par la culture du riz, la désertification, joints à l’explosion démographique et aux migrations intempestives, (…) caractérisent les sociétés du Sud, au même titre que la diffusion du sida, les violations des droits de l’homme, l’intégrisme religieux ou les génocides. (…). La solution  consiste à contrôler l’accroissement démographique et à limiter l’utilisation sauvage des ressources ». (Voir Développement, environnement et rapports sociaux, Alternatives Sud, Vol II, 1995, p.4)

 

 

Mais, le constat est aussi fait qu’ «  en même temps, la Banque mondiale et le FMI incitent le Sud à promouvoir les cultures d’exportation souvent à l’origine de graves dégâts écologiques et les entreprises occidentales y délocalisent une partie de leur production, parce que la main d’œuvre est meilleure marché et les dispositions contre la pollution moins sévères ». Ici on rejoint une forme de controverse qui existe entre le Nord et le Sud et qui peut être représentée par l’adage populaire  « Faites ce que je dis et non ce que je fais ». En effet on ne peut  imaginer de développement durable sans un questionnement sur les pratiques et les conceptions  économiques du Nord.

 

 

Cette controverse apparait comme la pierre d’achoppement dans les processus qui visent à limiter les effets néfastes de la croissance économique sur la durabilité de la planète. C’est le cas du Protocole de Kyoto qui a vu s’opposer les intérêts des pays du Nord et ceux des pays du Sud, notamment à propos des émissions de gaz à effet de serre. Schématiquement, certains pays émergents considèrent que le changement climatique n’est pas une priorité comparé aux autres enjeux du développement, et qu’il incombe aux pays développés d’agir en priorité étant donné la responsabilité historique qu’ils ont sur l’augmentation actuelle des concentrations de gaz à effet de serre. C’est ainsi que les pays en développement n’ont pas d’engagement quantifié de leurs émissions dans le Protocole de Kyoto, d’où le courroux de certaines puissances comme les U.S.A qui refusent de le ratifier en l’état. Même si Kyoto a prévu des mécanismes de compensations financières pour les pays du Sud qui s’engagent dans la diversification économique, les déséquilibres restent immenses en faveur des pays du Nord. Les mécanismes de compensations similaires sont prévus dans le cadre du programme REDD (Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation tropicale) qui vise la préservation de la forêt tropicale dont on connaît l’importance écologique.

 

 

On peut considérer que tous ces processus visent à contrôler la croissance économique mondiale et ses effets néfastes sur la planète. Cependant ils ont comme conséquence d’enserrer la croissance économique des pays du Sud dans un corset préjudiciable à leur développement. D’ores et déjà il apparait qu’il n’y aura pas assez de place pour tout le monde dans le « club » des pays développés, car la capacité de la planète à survivre à une hyperactivité économique et industrielle est limitée. La solution réside certainement dans des alternatives économiques comme le recours à des énergies moins polluantes ou encore à des technologies innovantes sur le plan écologique. Or en cette matière les pays développés ont une longueur d’avance par leur maîtrise technologique et ils ne sont pas prêts à changer leur mode de vie boulimique en émissions de carbone, tandis que la plupart des pays du Sud ne peuvent pas se passer du modèle traditionnel (libéral) de croissance qui a permis le développement des pays du Nord. Autant dire que les divergences voire les antagonismes des intérêts se profilent encore à l’horizon incertain de la planète.

 

 

Le développement durable intègre l’humanité entière dans ses perspectives. Alors est-il encore permis aux pays du Sud de rêver à un développement  qui leur permettrait  de hisser leurs économies et leurs sociétés à un niveau comparable à celui des pays du Nord ? Le débat ouvert par la question du développement  durable comporte les enjeux du futur pour les pays du Sud.

Charles KABUYA  

 

 



27/01/2012
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