FAUT-IL JETER LE BÉBÉ AVEC L'EAU DU BAIN ? (Ministère public contre Constant Mutamba)
Je ne connais pas personnellement Constant Mutamba. J'ai toujours observé son impétuosité et ses accents révolutionnaires avec un regard quelque peu méfiant. Sans doute que j'étais un peu gêné par ce que je ressentais comme une forme de théâtralisation, et qui pouvait masquer une certaine vacuité au niveau des convictions politiques.
Cela dit, le fond de son discours a souvent été interpellateur et à contre-courant de la classe politique congolaise. Sa truculence aux accents teintés de lumumbisme est certainement à la base la séduction qu'il exerce sur une bonne partie de la jeunesse et des projecteurs qui ont été braqués sur lui depuis quelques années. Certains qualifient cela de populisme, et il en est certainement capable vu la facilité avec laquelle il a eu à adapter son discours aux changements des circonstances politiques.
Je n'ai pas non plus suffisamment d'éléments sur son parcours pour me permettre de le juger sur ses dispositions éthiques, en dehors de la déontologie professionnelle que nous sommes tenus d'observer en tant qu'auxiliaires de justice.
Sa nomination comme ministre de la justice avait détonné et laissé perplexes bon nombre de personnes. J'ai été de ceux qui ont éprouvé des craintes, en particulier à cause de sa propension à tenir des discours enflammés et sans garde-fou (chose délicate pour un garde des sceaux).
Finalement je me suis rangé à l'idée que cela constituerait un challenge intéressant : le tonitruant maçon allait être au pied du mur.
Malgré toutes les appréhensions, ses débuts ont été prometteurs, au point d'ailleurs que j'ai observé avec intérêt, et même avec un certain enthousiasme, ses premières actions.
Il a eu en effet deux grands mérites :
D'abord celui de s'être attaqué au système carcéral congolais, dont les conditions de détention des prévenus sont d'une inhumanité indigne d'une société civilisée. Ce système est maintenu par des pratiques que les justiciables subissent au quotidien et que les professionnels de la justice connaissent bien : moyen de pression, règlements de comptes à caractère politique ou privé, et même lieu d'oubli des damnés de la terre, et j'en passe…
Notre société est devenue si insensible que le fait de bousculer ce système n'est pas perçu à sa juste valeur. On ne le mesure que trop tard, une fois que soi- même ou nos proches tombent dans son engrenage redoutable…
Le deuxième mérite est la volonté réformiste avec laquelle il n'a pas hésité à pointer publiquement du doigt les maux de notre justice. Cette dernière est une forteresse presque immuable, elle charrie toutes sortes de scories administratives et héberge divers dysfonctionnements, dont le fléau de la concussion. Les justiciables en font les frais, le personnel judiciaire lui-même ne s'y retrouve pas, tandis que l'économie est impactée par le mauvais climat des affaires dû à l'imperfection de la justice.
La méfiance envers la justice rend vaine toute tentative d'instaurer une justice sociale, tout comme elle menace la paix. C'est dire que l'enjeu est d'importance capitale.
Nous sommes si habitués au ronronnement de cette justice malade, que l'on ne mesure pas la dose de témérité qu'il faut pour oser s'y attaquer. Le risque de se constituer des inimitiés solides au sein de l'institution n'étant pas le moindre…
Quoi qu'il en soit, si Constant Mutamba s'est fait rattraper par la patrouille pour des éventuelles turpitudes que la présomption d'innocence interdit d'affirmer à ce stade, il aurait au moins tenté d'assaillir la forteresse. Avec certainement beaucoup d'idéalisme et une part de romantisme qui confinent à la velléité. Et le rêve d’Icare qui nous projette dans une sorte de tragédie grecque, mettant en scène la fin tragique du héros…
Toutefois, il serait malheureux que l'élan de son action soit brisé par les contre-courants du système, car jeter le bébé avec son bain reviendrait à ignorer que pendant ce temps la justice congolaise demeure malade, et que Kisangani a toujours besoin d'une nouvelle prison aux normes civilisées…
Maître Charles Kabuya
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