J'AI EU BEAUCOUP DE CHANCE... (Une jeunesse sous la 2ème république)
J'ai grandi sous la deuxième république. Mon père nous a emmenés aux quatre coins du pays, au gré des affectations pour diriger des services importants dans les provinces. Cette pratique des mutations des cadres dans les différentes provinces dont ils ne sont pas originaires n'existe presque plus aujourd'hui. Les "autochtones" exigent désormais que l'on nomme "les leurs"... Ce qui donne lieu à une surenchère dangereuse dans le repli sur soi et décourage les investisseurs extérieurs.
Au cours de ces pérégrinations sous l'impulsion paternelle, j'ai rencontré des congolais de plusieurs origines. Mes amis d'enfance viennent de différentes provinces du pays où j'ai eu à vivre. D'ailleurs nos origines ethniques ne nous préoccupaient pas, mes amis et moi. J'ignore encore aujourd'hui de quelle province sont originaires beaucoup de mes amis d'enfance. L'idée saugrenue de le leur demander ne m'est jamais venue à l'esprit. On étaient liés indéfectiblement par une enfance commune et nos parents étaient amis. Ça crée des liens de fraternité qui durent dans le temps...
Plus tard je suis allé poursuivre mes études en Europe. J'y ai rencontré beaucoup de jeunes compatriotes venus soit pour les études, soit pour trouver un débouché à leur vie. Ils étaient originaires de plusieurs provinces du pays. Nous avons bravé ensemble les conditions difficiles de l'immigration. Nous avons connu ensemble la discrimination, le racisme, la précarité des étudiants en Europe, vivant loin de nos familles alors que nous étions si jeunes (j'avais 19 ans quand je suis arrivé en France).
Ce parcours du combattant a créé des liens très forts entre nous. Toutes origines ethniques confondues nous nous sommes aidés, soutenus dans les moments difficiles (deuils, maladie, hébergement...) ou heureux (mariage, anniversaire, naissance...). Nous formions une vraie communauté zairoise. Nous respections nos vieux qui étaient arrivés en Europe dans les années 60 ou 70. Ils nous hebergeaient, guidaient nos premiers pas en Europe sans tenir compte de nos provinces d'origine. J'ai été hébergé un temps chez un "vieux" qui était musakata. Un autre "vieux" qui était mongo m'a une fois payé mes frais de scolarité universitaire car j'étais à court d'argent. Je ne les oublierais jamais...
Tout ça c'était avant que la diaspora ne tourne comme du lait mal conservé, qu'elle devienne faisandée, politisée, haineuse, violente et tribaliste. Une dégénérescence qui se prolonge jusqu'à menacer la cohésion nationale au pays.
En Europe j'ai aussi connu la tolérance face au racisme. J'ai eu des amis français sincères et ayant le coeur sur la main. Des amis engagés dans la lutte contre le racisme et la discrimination. J'y ai connu l'amour inter-racial : j'ai des enfants métis. Plus tard j'y ai épousé une congolaise originaire d'une autre ethnie que la mienne. Mes enfants sont Luba et Ne kongo.
J'ai eu également la chance de connaître la fraternité africaine dans ma famille. Une de mes tantes avait épousé un nigerian, j'ai des cousins et cousines congolo-nigerians. Ma petite sœur avait épousé un mauritanien, j'ai des neveux congolo-mauritaniens...
Oui, c'est une chance d'avoir eu ce parcours hétérogène sur le plan humain. Cela a fait de moi un réfractaire à toute forme de racisme, de discrimination fondée sur les origines ethniques. Je vous parle de moi, mais je ne suis pas le seul à avoir eu cette chance. Des milliers d'autres, que dis-je? Des millions d'autres l'ont eue. Et nous sommes nombreux à regarder l'avenir avec optimisme. N'en déplaise aux tribalistes avérés et aux crypto-tribalistes qui se cachent sous le paravent de certaines idées politiques, mais encouragent le communautarisme ou stigmatisent les métis (alors qu'en Occident les métis sont des noirs, certains chez nous s'évertuent honteusement à les discriminer comme une race à part).
Ce sont nos enfants qui construirons le Congo de demain. Parmi eux nos enfants métissés ayant une double culture, nos millions d'enfants qui naissent chaque année et qui sont issus des mariages ou des liaisons intercommunautaires.
Que va signifier le tribalisme à leurs yeux alors que leurs ascendants sont issus des communautés ethniques différentes?
Oui, le multiculturalisme de nos enfants sera la réponse cinglante aux passéistes et autres nostalgiques du nombrilisme tribal primitif.
Il constitue la meilleure chance pour le Congo...
(C) Charles Kabuya
Photo : Anniversaire de mon amie d'enfance Simonette Nate à Bukavu en 1977. Je suis à l'extrême gauche en béret Molokaï
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