L'AFRIQUE EST-ELLE SOUS L'EMPIRE DE LA LOI DE LA JUNGLE ?
Le silence des pays africains face à la violation de la souveraineté congolaise par le régime rwandais est éloquent sur l'immaturité des africains pour faire respecter les principes coulés dans la charte de l'OUA-UA depuis 1963, sachant que cette dernière sert de fondement pour réguler entre les Etats membres le vivre-ensemble sur le continent.
Dans cette vision des précurseurs de l'unité africaine, l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation est une pierre angulaire.
Voilà 30 ans que ce pacte entre pays africains est piétiné par les bottes des troupes rwandaises, avec pour conséquence près d'une dizaine de millions de morts dans la partie orientale de la RDC. Plus que tout autre conflit dans l'histoire de l'Afrique.
À cela il faut ajouter les exactions sans commune mesure, notamment les viols des femmes, favorisés par le chaos semé par la guerre d'invasion ; ainsi que le pillage systématique des ressources naturelles.
Face à cela, c'est l'hypocrisie et le cynisme qui continuent de régner en maîtres entre pays africains, derrière les accolades faussement fraternelles que se donnent les dirigeants.
Plus consternant encore, on a pu constater chez certains africains une attitude sordide qui consiste à se moquer de la tragédie congolaise. Certaines polémiques nées au moment de la CAN en Côte d'Ivoire ont été choquantes et honteuses pour les africains.
Déjà au lendemain des indépendances une fracture nette était apparue entre les pays dits "modérés" et ceux appelés "progressistes". Les premiers faisaient partie du "Groupe de Monrovia", qui comprenait le Nigeria et les pays d'Afrique francophone (Françafrique). Leurs régimes rejetaient l'idée du panafricanisme au profit des nationalismes. Ils étaient soutenus par l'Occident, qui pesait sur leurs politiques internes avec ses ingérences néocoloniales et ses bases militaires.
Le second groupe, appelé “Groupe de Casablanca” réunissait le Maroc, l'Égypte, la Guinée et le Ghana. C'est ce dernier groupe qui soutint le premier ministre Lumumba lors de la première crise congolaise. Leurs troupes firent partie des contingents dépêchés par l'ONU au Congo à cette période où le pays faisait face à un mouvement de sécession. Ils furent rejoints dans cette solidarité avec le Congo par l'Indonésie et des pays afro-asiatiques qui faisaient partie du mouvement des pays non-alignés.
Qu'elle est bien loin, l'époque où des dirigeants imprégnés d'une conscience panafricaine étaient sur tous les fronts pour défendre l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale des pays africains, comme le firent en éclaireurs Kwame N’Krumah ou Gamal Abdel Nasser !
Au contraire, l'histoire récente de l'Afrique indépendante est truffée d'actes de trahison et de complots dont certains de ses enfants firent les frais, à l'exemple de Patrice Lumumba ou de Thomas Sankara.
Ces attitudes hostiles entre pays africains vont jusqu'à être transposées sur la scène diplomatique internationale. Quel spectacle pitoyable lorsqu'on voit certains pays africains trahir certains autres lors des votes au Conseil de Sécurité des Nations unies !
L'Afrique apparaît ainsi comme une jungle politique et diplomatique.
Six décennies après les indépendances, Tarzan reste le Roi de la jungle…
Dans la tragédie que vit le Congo depuis 30 ans, il aura fallu aller chercher des solutions en dehors de l'Afrique. Ni l'Union africaine, ni les organisations sous-régionales n'ont été en mesure de trouver des solutions durables.
L'Afrique du Sud fit exception en accueillant le dialogue inter congolais, duquel découla un accord politique en 2003, avant que Kagame ne trouble la stabilisation en reprenant les invasions et les pillages quelques temps plus tard.
Si le Congo s'est retrouvé confronté plusieurs fois à la solitude diplomatique et à l'hypocrisie des “pays-frères”, il faut cependant tirer un coup de chapeau au Zimbabwe de Robert Mugabe, à la Namibie de Sam Nujoma et à L'Angola de Dos Santos, qui n' hésitèrent pas à envoyer des troupes défendre son intégrité territoriale. L'Afrique du Sud et la Tanzanie intervinrent elles aussi avec des troupes en appui de la brigade d'intervention de la Monusco. Quant au Burundi et au Tchad ils sont des rares pays qui assument leur solidarité avec la RDC et son peuple, y compris par une présence armée.
La plupart des pays africains s'illustrent toujours par un mutisme assourdissant et leurs dirigeants défilent à Kigali avec des mines satisfaites, se montrant indifférents alors qu'à une portée de tir de là les troupes rwandaises continuent leurs carnages.
Même si la puissance militaire qui permet au régime rwandais de parader sur le territoire congolais provient du soutien multiforme que lui ont accordé certains pays occidentaux, ce depuis la genèse du Fpr jusqu'à la prise du pouvoir par Kagame, il est illogique que dans la tragédie congolaise on s'en remette à ce même Occident pour sanctionner ce régime prédateur et prendre des mesures pour faire cesser l'agression. Et paradoxalement, à ce jour seule l'Occident a pris des sanctions contre le Rwanda, alors que l'Union africaine en est incapable à cause de l'hypocrisie de ses membres et de l'absence de mécanismes coercitifs efficients.
Ne parlons même pas d'une organisation sous-régionale comme la Communauté des pays d'Afrique de l'est, à laquelle la RDC a adhéré, mais qui est composée de dirigeants sournois, complices du pouvoir rwandais (certains ayant même des intérêts dans le pillage des minerais congolais, semblerait-il).
Ceci est très dommage pour l'Afrique, qui ne doit pas oublier que l'Europe communautaire s'est construite pour éviter les guerres qui ont endeuillé son histoire. Et que les grandes guerres des 19e et 20e siècles ont été déclenchées par les ingérences. Ainsi en 1939 la France et l'Angleterre ont déclaré la guerre à l'Allemagne hitlérienne car cette dernière avait envahi la Pologne après avoir annexé l'Autriche et une partie de la Tchécoslovaquie.
Il était inacceptable par principe qu'un pays européen agresse ou annexe le territoire d'un autre.
C'est le même principe qui est appliqué dans le cas de l'Ukraine, qui reçoit assistance militaire et appui financier après l'invasion russe.
Malheureusement en Afrique on laisse commettre un précédent par le régime de Kagame. Ce précédent fera en quelque sorte jurisprudence si l'inaction africaine continue et il constituera une incitation pour d'autres pays à agir de la sorte. Le risque majeur c'est de nous projeter dans un avenir incertain sur le continent, où les conflits seront généralisés.
L'Afrique ne devrait plus être biberonnée par les grandes puissances, elle doit se prendre en charge à cet âge de maturité, être en mesure de faire rentrer dans les rangs ses brebis galeuses et résoudre les conflits selon les règles juridiques établies.
Ce n'est pas la loi de la jungle qui doit prévaloir et on ne devrait pas appeler Tarzan pour venir remettre de l'ordre.
Devant une agression barbare et injustifiée les congolais n'ont pas d'autre choix que de se battre pour défendre leur pays, mais l'Afrique n'a pas vocation à demeurer sous l'empire de loi de la jungle.
L'unité et la solidarité africaines devraient quitter les tablettes pour s'inscrire dans la réalité.
Il y va de notre avenir à tous…
Charles Kabuya
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