Le Blog de Charles Kabuya

LA FRANçAFRIQUE EST-ELLE SOLUBLE DANS LA FRANCOPHONIE ?

 

LES LEçONS DU SOMMET DE KINSHASA

 

L’enjeu de ce sommet pour le pouvoir congolais était d'en réussir l’organisation pour pouvoir s’offrir une visibilité internationale et redorer son blason après l’élection présidentielle critiquée de novembre 2011. Du côté de l’opposition congolaise, dont la frange radicale souhaitait la délocalisation du Sommet, l’enjeu était de s’offrir une tribune devant la presse internationale pour étaler ses récriminations envers le pouvoir de Joseph Kabila. Enfin et surtout, pour le nouveau président français, dont c’était le premier voyage en Afrique (après une brève escale à Dakar), il s’agissait à la fois d’affirmer l’importance qu’il accorde à la francophonie et de donner le ton de sa nouvelle vision de la relation entre la France et les pays de le l’Afrique francophone, en se démarquant de la fameuse et tant décriée françafrique.

 

 

De l’avis général l’organisation du sommet de Kinshasa a été parfaite. Les artères principales de la ville avaient été embellies, et certaines infrastructures construites ou rénovées. Le cadre même du sommet, au Palais du peuple, était somptueux. Sur le plan diplomatique, la RDC a obtenu au cours de ce sommet une condamnation de l’agression dont elle fait l’objet à l’est du pays, ainsi qu’un appel à des sanctions ciblées du Conseil de Sécurité de l’Onu sur les dirigeants de la rébellion du M23. « La Déclaration de Kinshasa » a consacré les engagements pris par les états membres et qui portent sur des questions importantes liées aux enjeux environnementaux, économiques, culturels, des droits de l’homme et de la gouvernance mondiale. Il faut également noter que plusieurs chefs d’Etats de l’espace francophone avaient fait le déplacement de Kinshasa.

 

 

Mais le bénéfice en termes d’image que devrait tirer de cet événement le pouvoir de Joseph Kabila semble mitigé du fait des interférences de la situation politique interne et des déclarations peu diplomatiques des dirigeants de la France et du Canada avant et pendant le sommet, ainsi que des incidents protocolaires causés par le président français qui s’était rendu à reculons en RDC. En effet, le pouvoir congolais traine comme un boulet le scrutin présidentiel contesté de novembre 2011 et certaines affaires scabreuses liées aux droits de l’homme (comme l’assassinat de l’activiste des droits de l’homme Floribert Chebeya ou encore certains démêlés avec des opposants) A cela il faut ajouter la situation calamiteuse sur le plan humanitaire à l’est du pays, du fait de la guerre entretenue par des groupes armés, dont certains sont appuyés par le Rwanda et l’Ouganda selon les rapports de l’ONU. Certains opposants n’hésitent pas à attribuer au gouvernement congolais  la responsabilité de cette crise humanitaire qui frappe de plein fouet des populations démunies et à épingler les dysfonctionnements sur les plans militaire et politique dans la gestion de cette guerre qui ne dit pas son nom. Enfin, la situation économique et sociale n’est pas rose,  car avec un chômage et une pauvreté endémiques, les populations congolaises pointent encore au plus bas des indicateurs humains du développement. Malgré une certaine stabilité sur le plan macroéconomique, la maitrise de l’inflation et un programme de construction des infrastructures, des problèmes importants de gouvernance subsistent.

 

 

Cependant, la tâche n’est pas facile pour un gouvernement qui ne dispose que de peu de moyens économiques pour redresser la situation d’un pays sinistré par des conflits armés récurrents et par la faillite économique et sociale héritée de la 2ème république. Mais encore faut-il qu’il soit capable de maximiser les ressources, ce qui nécessite la mise en place un cadre économique adéquat, une bonne gouvernance et un meilleur climat des affaires pour promouvoir l’entreprenariat et la création des richesses. A ce jour on est encore loin de cet objectif et le chantier du redressement congolais reste colossal. Car dans ce pays tout est à reconstruire, à commencer par la dimension politique qui nécessite un consensus des forces politiques sur les institutions et le « modus vivendi » de la classe politique.

 

 

Sur ce point, le « divisionnisme », cette maladie congolaise, n’a pas permis d’établir les conditions nécessaires au fonctionnement normal de l’espace politique, les intérêts des uns et des autres ayant toujours primé sur l’intérêt national. De la Conférence Nationale Souveraine du temps de Mobutu à l’Accord Global et Inclusif conclu en Afrique du Sud, aucun arrangement politique n’a jamais permis de trouver un consensus satisfaisant entre les hommes politiques congolais. L’égoïsme, la passion et la soif du pouvoir l’emportant souvent sur l’apaisement qui est nécessaire pour bâtir une démocratie. C’est la violence des antagonismes politiques au Congo et la radicalisation positions qui empêche tout règlement des problèmes politiques dans le pays. Notons que la RDC est l’un des rares pays au monde à avoir deux formes d’oppositions au pouvoir en place, l’une parlementaire (issue du processus institutionnel mis en place par les accords politiques) et l’autre radicale (regroupant ceux qui se mettent en dehors du processus politique et remettent en question les institutions) La « société civile » n’est pas en reste avec une multitude d’Ong et d’associations jouant des coudes dans l’espace politique et faisant monter les enchères dans l’opposition au pouvoir.

 

 

Comme il fallait s’y attendre, cette ambiance électrique s’est invitée au sommet de Kinshasa. L’opposition à accentué la pression devant la presse internationale, n’hésitant pas à appuyer là où ça fait mal pour le régime de Joseph Kabila. Elle a ainsi réussi à focaliser l’attention de la presse internationale sur ce qui va mal (et ce n’est pas cela qui manque!). Le buzz a été fait dans la diaspora congolaise, majoritairement hostile au président Kabila, qui a relayé et amplifié sur les réseaux sociaux toutes les péripéties défavorables au pouvoir congolais. Il faut dire également que certains groupes au sein de la diaspora avaient, par leurs vives manifestations d’hostilité à la tenue du sommet, conditionné depuis longtemps la presse (voire les politiques ?) dans certains pays occidentaux, comme la France, la Belgique et le Canada. Au final et sur la forme, l’opposition congolaise à contribué à brouiller à l’extérieur l’image du sommet, donc l’image du pays. Ainsi c’est l’image d’un Congo divisé  et immature, d’un pouvoir affaibli et acculé, qu’on retiendra de ce sommet depuis l’étranger.

 

 

Recevant les membres de l’opposition congolaise, François Hollande s’est lui-même rendu compte que chacun jouait sa propre partition et sollicitait ses bonnes grâces pour sa propre chapelle. Cependant, il n’a pas joué le rôle qu’on aurait dû attendre de lui, car d’une certaine manière il a plus soufflé sur les braises que cherché à comprendre la crise politique et  proposer des solutions à ses interlocuteurs congolais. A la place, on l’a entendu parler comme un militant socialiste dans les couloirs du Palais du peuple, ce qui peut dénoter un manque de connaissance des subtilités politiques africaines. Se trouvant dans un pays qui honore la langue française, il aurait dû se départir de certaines attitudes sectaires et rechercher le consensus. Alors que j’évoquais récemment le sujet avec un diplomate sénégalais qui a participé au sommet dans la délégation de son pays, je me suis entendu répondre : « votre problème, à vous congolais, c’est L’UNITE. Vous passez votre temps à vous détester les uns les autres, alors que votre pays a un grand potentiel… » Reste à savoir à qui cela profite-t-il…(?)

 

 

En fait, pour le président François Hollande, nouvellement élu à la tête de la France, il s’agissait, comme il l’avait déclaré, d’honorer la Francophonie, devenue un espace incontournable de partage et de promotion des valeurs autour de la langue française et de d’imprimer sa marque dans la relation avec les pays d’Afrique francophone, qu’il veut en rupture avec les pratiques de la françafrique. En tant que socialiste, la justice sociale et les Droits de l’homme lui tiennent à cœur. Il arrive sur le contient africain pour la première fois, et c’est tout naturellement qu’il entend utiliser la tribune de ce sommet pour faire entendre un nouveau son de cloche devant ces dirigeants africains trop longtemps restés au pouvoir, et qui ne sont pas des champions en matière de démocratie, de bonne gouvernance et des droits de l’homme. A part peut-être deux ou trois cas. La relation de la France avec ces pays africains, qui passait par des cellules dédiées, des officines contrôlées par certains intérêts politico-financiers, doit céder la place à des relations bilatérales « normales ». Justement, la Francophonie est ce cadre où une nouvelle forme de relations peut s’exercer et se décliner sur les plans politique, économique, culturel, sportif etc. Sur le fond il a raison, il y a nécessité de modifier les règles, de promouvoir la démocratie et la bonne gouvernance, d’être exigeant sur les valeurs qui doivent être partagées en commun dans cet espace.

 

 

Rupture avec la Françafrique?

 

 

C’est sur la forme que le bât blesse : comme ses prédécesseurs François Hollande s’est positionné en suzerain avec ses vassaux africains, les regardant de haut, tançant les uns, un brin méprisant avec les autres, ne daignant saluer chaleureusement que les quelques-uns qu’il estime. Le clou de ce spectacle a été l’attitude frisant la goujaterie qu’il a eue avec son hôte, Joseph Kabila, en l’ignorant de bout en bout au cours du sommet, au mépris des usages protocolaires. Il faut dire qu’il avait déjà annoncé la couleur avant le sommet avec des déclarations peu diplomatiques et une évaluation négative de la situation des libertés démocratiques en Rd Congo. A Kinshasa le tête à tête a été glacial, d’autant plus que Joseph Kabila, mouché, n’est pas allé accueillir François Hollande à sa descente d’avion comme le font rituellement tous les chefs d’Etats africains et il l’a reçu au Palais de la Nation sans garde d’honneur, alors que même les ambassadeurs qui présentent leurs lettres d’accréditation y ont droit. Le discours du président français était dans la même veine, sans égard ni référence à son hôte. Si les adversaires du président congolais et les défenseurs des Droits de l’homme se réjouissent des déboires diplomatiques que lui a infligés le président français, beaucoup d’observateurs des relations franco-africaines ont ressenti un malaise, ils se posent des questions sur le style de François Hollande face aux dirigeants africains et relèvent des contradictions. Faut-il y voir, comme l’avait fustigé Abdou Diouf dans son discours de Kinshasa, une politique de deux poids deux mesures… lorsque les intérêts de la France sont en jeu?

 

 

Car les griefs faits à Joseph Kabila en matière de gouvernance et des Droits de l’homme sont souvent escamotés face à certains dirigeants, au gré des intérêts de la France… Par exemple, la France ne rechigne pas à maintenir son soutien au président de la Côte d’Ivoire dont les partisans sont accusés d’exactions et de massacres d’ampleur à l’ouest du pays. Les journaux d’opposition sont saisis et des opposants emprisonnés. D’ailleurs le fils de Laurent Gbagbo est toujours détenu sans cause et Simone Gbagbo maintenue en déportation sans que cela ne gêne le moins du monde François Hollande, qui a reçu le président ivoirien à l’Elysée. Tout le monde sait que les intérêts de la France sont immenses en Côte d’Ivoire… Le président Blaise Compaoré du Burkina Faso est au pouvoir depuis 25 ans, lui-même et sa garde présidentielle ont été accusés dans le meurtre scabreux du journaliste et activiste des Droits de l’homme Norbert Zongo en 1998. Dans ce pays les médias sont intimidés et l’armée toute puissante bénéficie d’une impunité choquante. Le conseiller spécial du président Compaoré fait même l’objet d’un mandat d’arrêt international (Cfr Canard enchaîné 17/10/12). Mais Blaise Compaoré a été reçu à l’Elysée en juillet et le France a installé chez lui une unité du Commandement des opérations spéciales (Cos) C’est vrai qu’il a rendu beaucoup de services à la France, en parrainant notamment des coups tordus et des coups d’états… Le président tchadien Idriss Déby sera reçu en visite officielle à l’Elysée à la fin de ce mois, alors que les Droits de l’homme ne sont pas respectés dans son pays. Il est accusé d’avoir liquidé des opposants, dont Mahamat Saleh, qui a disparu avec corps et biens en 2008. Mais la France possède une base militaire chez lui et elle le courtise pour envoyer ses hommes, rompus à la guerre dans le désert, dans le Nord Mali… La liste n’est pas exhaustive… D'autre part, des fraudes électorales ont été avérées dans beaucoup de pays dont les chefs d’états ont été reçus à l’Elysée, c’est le cas notamment du Gabon dont le dirigeant est sur la sellette dans le dossier des biens mal acquis. Mais c’est aussi le pays où les intérêts français dans le pétrole sont stratégiques… Manifestement, à Kinshasa, le président français a frappé sur le « maillon faible », le chef de l’état avec lequel sa conduite cavalière ne pouvait pas remettre en question des intérêts français conséquents.

 

 

Tout cela rend dérisoire les grandes déclarations sur la fin de la Françafrique, les intérêts de la France en Afrique finissent par prendre le dessus dans un monde où la compétition avec les puissances émergentes préfigure les nouveaux rapports de forces au niveau planétaire. Il suffit de traverser le fleuve Congo pour se rendre compte qu’au pays où Total a le monopole de l’exploitation du pétrole, l’opposition est marginalisée et pratiquement privée de parole. Alors qu’à Kinshasa, il y a plus d’une cinquantaine de chaines de télévision, dont la plupart appartiennent à des opposants, à Brazzaville ou à Libreville, considérées comme faisant partie du pré-carré de la France, cela est inimaginable. Le discours de Hollande présente sur le fond les apparences d’une rupture avec la françafrique, mais son attitude condescendante consacre les rapports de vassalité que ne démentent pas les faits. Au fait, lorsque le président français reçoit des « dictateurs » qui ne sont pas africains, il a une conduite avenante et ne s’autorise pas ce qu’il fait avec les nègres… On l’a vu recevant, tout souriant et poli, le président de l’Azerbaïdjan, au pouvoir depuis 20 ans, et qui pourtant est accusé de réprimer l’opposition et de bafouer  les Droits de l’homme dans son pays. De même, le président français était tout aussi affable lorsqu’il a reçu l’émir de Bahreïn, dont on sait qu’il a récemment réprimé un début de révolte dans le sang…

 

 

En fin de compte il est manifeste que la fermété affichée sur la nécessaire mise au rebut de la Françafrique au profit des valeurs de la démocratie ne l'est parfois qu'"à la tête du client". Les africains devraient comprendre que le combat pour la démocratie, les Droits de l’homme et la bonne gouvernance doit se mener dans la dignité. Les relations condescendantes et les rapports de vassalité dans lesquels nous maintiennent nos propres turpitudes bafouent notre honneur… Et comme l’a dit un auteur africain : « la Françafrique ne mourra que quand les africains eux-mêmes en prendront l’initiative… »



21/10/2012
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