Le Blog de Charles Kabuya

LA LONGUE MARCHE DE L'INTEGRATION AFRICAINE

LA LONGUE MARCHE DE L’INTEGRATION AFRICAINE

Ce texte est un extrait de mon prochain livre à paraître sous le titre : « L’AFRIQUE à UN TOURNANT : Intégration africaine et développement durable ». Je le soumets en « avant-première » à mes amis pour contribuer au débat sur le devenir institutionnel et sur le développement de notre continent. En effet, il m’apparaît clairement que ces deux questions sont liées, tant l’exiguïté des  marchés nationaux impose aujourd’hui de vastes ensembles économiques dans un monde globalisé. La perception de cette évidence existe depuis les indépendances africaines avec quelques précurseurs comme Kwame N’Nkrumah ou encore Frantz Fanon. Cependant, malgré les discours politiques plus ou moins empreints de panafricanisme, de multiples facteurs ont relégué cette volonté à des proclamations velléitaires ou à des slogans creux, même si un socle d’organisations régionales et continentales a été laborieusement mis en place. Au final le processus d’intégration africaine en vue d’un développement harmonieux du continent reste très poussif.

La genèse et les caractéristiques du processus d’intégration africaine ont fait l’objet de plusieurs études par des spécialistes et des chercheurs. Il en existe une, remarquable et intéressante, publiée en 1984 aux PUZ (Presses Universitaires du Zaïre) par Ndeshyo Rurihose. Cet universitaire congolais constatait déjà à l’époque que « L’Afrique ne constitue pas (…) un ordre public cohérent », et qu’ « en dépit de la multiplicité des organisations intergouvernementales politiques, économiques et techniques sous-régionales et régionales sectorielles, de l’inflation anarchique des conventions, traités et déclarations visant au renforcement de la coopération et de la solidarité africaines, l’Afrique reste un système d’Etats, dépendant et hétérogène ». Après ce constat effectué à la suite d’une très efficace démonstration analytique, il concluait ainsi : « En définitive la spécificité du système politique africain est qu’il est hétérogène, instable, dominé, sous-développé et mal intégré, c’est-à-dire non auto-dépendant et extraverti politiquement, économiquement et culturellement ».   (Ndeshyo Rurihose, Le système d’intégration africaine, Presses Universitaires du Zaïre, 1984). Plus de deux décennies après, cette affirmation reste   largement vraie.

Le processus d’intégration exige au départ une forte volonté politique, ce qui n’a pas toujours été évident en Afrique. En effet, les pays de ce continent étant, comme on le sait, dépendants politiquement des influences extérieures, et économiquement de l’aide internationale, la volonté politique ne peut qu’être altérée par ce phénomène d’influences. Si les Puissances dominantes en Afrique ne peuvent pas s’opposer à son intégration et à son développement, elles ne favoriseront qu’une intégration et un développement qui ne s’opposent pas à elles. C’est ainsi que certains auteurs africanistes considèrent qu’au sein d’une institution comme l’OUA, l’objectif de l’intégration africaine a été secondaire par rapport à la fonction du règlement des conflits, de la défense de la souveraineté des Etats et de représentation du continent à l’extérieur.  Ils font remarquer également qu’il existe dans la charte de l’OUA des dispositions potentiellement « non – intégrationnistes ». C’est le cas de la défense de chaque souveraineté étatique érigée en principe ou de l’objectif de l’harmonisation  des politiques des pays membres érigé en condition. Un fait historique marquant, de ce point de vue, a été la mise à l’écart du projet présenté en 1965 par Kwame N’krumah en vue de la création d’un gouvernement continental. Depuis de nombreux conflits frontaliers sont venus s’ajouter aux échecs des tentatives de fédération (Fédérations du Mali, du Cameroun ou du Nigéria avec la guerre de Biafra)

 Mais, dans les faits l’OUA a eu des objectifs précis comme l’indépendance, le développement et l’unité,  mais elle avait aussi l’intégration du continent comme objectif lointain. Sa charte est explicite sur l’importance de la coopération économique interafricaine. L’article 2 nous dit l’objectif de l’OUA est double :

-          harmoniser et coordonner la coopération intra-africaine ;

-          promouvoir la solidarité et l’unité africaine

Des stratégies ont été adoptées dont l’ensemble peut être considéré comme un processus de construction d’une stratégie africaine de développement et d’intégration. Elle va de la charte d’Addis-Abeba sur l’indépendance économique en 1973 à la consécration de l’Union Africaine en 2002, en passant par le Plan d’Action de Lagos en 1980 et le Traité d’Abuja en 1994. Des réunions, des colloques et des séminaires d’experts africains on contribué à la construction de cette stratégie. On notera par exemple que la 11ème session spéciale du Conseil des ministres de l’OUA, réunie à Kinshasa en décembre 1976 avait mis en avant la coopération économique intra-africaine et la création du marché commun africain de l’énergie. Le plan d’Action de Lagos (PAL) est une étape importante de la stratégie africaine pour le développement de par son contenu dont on retient comme éléments essentiels : l’objectif d’autosuffisance économique, l’intégration méthodique et progressive, les objectifs prioritaires à terme du Marché commun africain et de Communauté Economique Africaine et enfin la croissance en P.I.B et en P.N.B. L’accroissement du commerce interafricain, de la production de l’énergie, des produits agricoles, le développement des transports et la croissance industrielle et énergétique font également partie des éléments essentiels.

 Ndeshyo Rurihose avait notamment reproché au Plan d’Action de Lagos ce qu’il appelle sa planificaphrénie, c’est-à-dire le fétichisme du plan comme technique opératoire partout et pour tout, de même que l’usage abusif des statistiques sans prise avec les réalités d’une Afrique qui en vrai se mourrait. D’après lui le peu de volonté politique et de détermination pour aller vers les objectifs n’ont pas été pris en compte par le PAL.  En effet, avec le recul on s’aperçoit que très peu d’objectifs du Pal sont atteints alors qu’il avait parfaitement planifié des étapes, des objectifs et des priorités. Parmi ceux-ci, il y a d’abord ce que l’auteur considère comme le court terme (1980-1985) : la création d’institutions nécessaires nationales, sous-régionales et régionales, le renforcement de celles existantes, l’élaboration du projet de Communauté Economique Africaine, la création des cadres institutionnels de coordination verticale et régionale… Ensuite, il y a le moyen terme (1980-1990) : La création du Marché Commun Africain avec l’élimination des barrières tarifaires et non tarifaires, l’harmonisation des politiques nationales monétaires, économiques, commerciales, la croissance de 7% du P.I.B., l’augmentation de 4% par an de la production agricole, de 9,5% de l’industrie, de 7% des exportations, de 8% des importations, l’exécution du réseau panafricain des routes transafricaines et de leur connexion et d’une infrastructure industrielle lourde en Afrique. Enfin le long terme (1990-2000) : la création de la Communauté Economique Africaine ou démarrage effectif du développement et de l’intégration africaine.

Comme on peut le constater, aujourd’hui nous sommes loin du compte. Si le Plan d’Action de Lagos était techniquement bien conçu, il a péché par certaines incohérences et surtout par un irréalisme surprenant. Toutefois, il a le mérite d’avoir mis en avant des concepts émancipateurs qui permettent de faire prendre conscience aux africains de la nécessité de s’engager sur la voie de l’intégration. Seule voie dans laquelle, conclut l’auteur, « se trouve le salut »

Même si les pays d’Afrique ne se sont pas encore tout à fait dotés d’institutions démocratiques, ils doivent néanmoins assumer la nécessité d’aller vers plus d’intégration. Différentes structures et institutions organisent déjà certains aspects de relations inter états  aux l’échelons régional et sous-régional,  multilatéral et bilatéral. Dans le domaine économique l’Afrique dispose de 14 principaux groupements économiques. Des institutions comme la CEDEAO, la CEEAC, la CPGEL (renaissante) ou encore la SADC en sont d’illustres exemples.

Des initiatives ont été constamment prises et des institutions mises en place pour améliorer les relations et la coopération dans divers secteurs. Ainsi par exemple,  la CEEAC (Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale) a été crée le 18 octobre 1983 par les membres de l’UDEAC (Union douanière des Etats de l’Afrique centrale) et les membres de la CPGL (Communauté économique des pays des grands lacs)- Burundi, Rwanda et RDC (à l’époque  Zaïre), ainsi que Sao Tomé et Principe. L’Angola est en devenu membre à part entière en 1999 après avoir conservé auparavant un rôle d’observateur. Lors de la 10ème conférence ordinaire des chefs d’état et de gouvernement qui a eu lieu à Malabo (Guinée Equatoriale) en juin 2002, il a été adopté le Protocole relatif à l’établissement d’un réseau des parlementaires de l’Afrique centrale (REPAC) ainsi que les règlements du Conseil de Paix et de Sécurité de l’Afrique Centrale (COPAX), La commission pour la Défense et la Sécurité (CDS), la Force Multinationale de l’Afrique Centrale (FOMAC)et le Système d’alerte avancée pour l’Afrique Centrale (MARAC). La CEEAC dispose en outre d’une Cour de justice qui n’est pas opérationnelle. Elle dispose également d’un organisme spécialisé en matière énergétique, le Pool Energétique de l’Afrique Centrale.

Ces institutions ne fonctionnent pas toujours conformément à l’esprit et la lettre des ambitions de leurs initiateurs. Bien souvent, les bonnes intentions sont suivies de peu d’effets, la volonté manque lorsque les dirigeants africains sont mis à l’épreuve des réalités démocratiques. Mais surtout, ce sont les moyens qui font généralement défaut, et du coup les budgets ne sont pas bouclés car les Etats membres rechignent à cotiser. C’est le cas de la CEEAC qui est restée inactive une grande partie des années 90…

Le Traité d’Abuja (Nigeria) de   1994 vise à créer une communauté économique à l’échelle du continent. Ce traité considère les 14 principaux groupements économiques régionaux africains comme les éléments constitutifs de la Communauté Economique Africaine qui doit se développer progressivement au cours des prochaines années. Elle sera ainsi l’aboutissement du nécessaire processus d’intégration économique de l’Afrique. Dans cette optique, les Nations unies disposent d’un organisme appelé la Commission Economique pour l’Afrique  (CEA), qui est basé à Addis-Abeba (Ethiopie). Elle est notamment chargée d’évaluer les politiques d’intégration régionale. Dans sa première évaluation d’ensemble elle indique que « les communautés économiques régionales qui ont obtenu les meilleurs résultats sont celles qui disposent de programmes d’intégration bien conçus, appliqués régulièrement et judicieusement par les Etats membres. En revanche, les communautés en proie à des troubles politiques, économiques et sociaux ont enregistré des résultats insuffisants. » (« Etat de l’intégration régionale en Afrique. 2004 », Une étude de la CEA)

Lors de la présentation du rapport à New York, le secrétaire exécutif de la CEA avait déclaré  ceci : « Des progrès ont été accomplis. On voit que l’interconnexion en Afrique australe, notamment en matière de réseau de transport, s’est maintenant considérablement améliorée. On peut en dire autant de l’Afrique du Nord. Mais c’est toujours un problème grave en Afrique centrale » …

Aujourd’hui, le défi qui se profile à l’horizon des africains consiste en la réalisation effective de l’Union Africaine. Le débat qui a été récemment lancé par le dirigeant libyen  Mouammar Kadhafi. En effet, ce leader (actuellement sur le déclin) à qui  on reproche souvent le côté imprévisible,  avait proposé ni plus ni moins que l’unification totale de l’Afrique avec au passage la suppression des frontières et la mise en place d’un gouvernement africain. Si cette proposition du sulfureux Kadhafi semble encore utopique, elle aura tout de même eu le mérite d’avoir presque forcé ses congénères ainsi que l’intelligentsia africaine à se pencher sur le sujet.

 Toujours est-il que l’avenir d’un certain nombre de micro-états africains est hypothéqué par leurs faiblesses structurelles. Ici on parle de micro-état uniquement en matière économique,  car sur le plan de la démographie ou de la superficie ce terme ne peut pas être valablement utilisé en Afrique. Ces pays qui fonctionnent bien souvent avec un budget de l’état inférieur à celui d’un département français connaissent une croissance démographique exponentielle, tandis que le P.I.B et le P.N.B  y sont très faibles et la part de l’économie informelle exorbitante. L’insuffisance des ressources naturelles dans certains pays et la part faible des ressources produites en fait des économies structurellement anémiées. Lorsqu’on ajoute à cela la faiblesse de l’état, les catastrophes naturelles (sécheresses, inondations, invasions d’insectes sur les récoltes etc.) ou  les conflits armés on se retrouve en face de membres de plein droit du club des pays les moins avancés (PMA) et des pays éligibles à l’Initiative PPTE (Pays pauvres très endettés). Généralement l’état y est en faillite et ne peut plus payer ses fonctionnaires qui cumulent plusieurs mois de salaires impayés. Et  d’ailleurs, la plupart de ces pays vivent pratiquement sous perfusion avec une dette colossale par rapport à leur situation économique. Les diverses initiatives et les aménagements de la dette tant de la part des institutions internationales que de la part des états créanciers du Nord ne font que difficilement masquer la réalité de la non-viabilité de certains de ces pays.

Le Nepad (Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique) procède de ce constat et vise une intégration économique coordonnée de l’Afrique. Issu de la fusion de deux projets, le plan Oméga et le Millénium african plan (Map) qui fusionnèrent en 2001 au sommet de Lusaka, il a été notamment défendu par le président sénégalais Abdoulaye Wade. Dans une économie mondialisée et ultra compétitive, il est clair que beaucoup de pays africains n’ont aucune chance d’émerger seuls. Bien souvent, il n’existe aucun secteur de l’économie où ils pourraient disposer de certains  avantages comparatifs ou même d’une certaine compétitivité. Dans ces circonstances leur salut ne pourrait venir que dans leur intégration au sein d’une structure multiétatique qui pourra être capable de compenser leur faiblesse.

En attendant, le processus d’intégration africaine doit se poursuivre pour que les potentialités de chacun des pays du continent puissent être additionnées afin de réaliser d’une manière coordonnée et efficace les objectifs du développement pour tout le continent. Les pays les plus performants serviront de locomotive tandis qu’une péréquation soutiendra les Etats les plus faibles, aujourd’hui considérés par rapport à certains critères comme non-viables.

 



16/03/2011
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