Le Blog de Charles Kabuya

LE PAYSAGE POST-ELECTORAL DE LA RDC : LIGNES DE CLIVAGES POLITIQUES OU GEOPOLITIQUES ?

 

Lors de la précédente élection présidentielle en Rd-Congo,
âprement disputée entre Jean-Pierre Bemba et Joseph Kabila en 2006, il s’était
esquissé des lignes de clivages politiques qui opposaient schématiquement l’est
et l’ouest du pays. A la lecture de la carte des dernières élections il
apparait que le phénomène du suffrage régionalisé s’est amplifié au point qu’il
faut s’interroger sur son incidence sur la gestion politique du pays, et même
sur l’avenir à terme de ce dernier.

 

LES INTERFERENCES ET LA PORTEE DU VOTE IDENTITAIRE

 

Comme la plupart des pays d’Afrique sub-saharienne, la Rd-Congo
est une mosaïque d’ethnies et de tribus. Cette dimension identitaire a toujours
joué dans la balance dans tous les contextes socio-politiques. Bien souvent, la
composition des gouvernements et les nominations au sein des institutions
publiques, ou encore à la tête d’entreprises nationales, résultent d’un savant
dosage « ethno-politique ». Mais c’est surtout aux élections que
cette dimension prend toute sa signification car d’une manière générale le
réflexe identitaire joue pleinement et favorise le vote ethnique. On ne peut
nier cette particularité africaine qui consiste en l’occultation des débats de
fond lors des élections et la focalisation des passions autour des personnes
sur lesquelles se porteront les faveurs des électeurs en fonction de leur
proximité identitaire.

 

En Rd-Congo le vote ethnique a caractérisé tous les scrutins
organisés à l’approche de l’indépendance et au cours de la période qui a
précédé le régime de Mobutu (1960-1965) Ainsi par exemple lors du scrutin
précédant l’indépendance, seul le Mnc/Lumumba avait obtenu des élus dans 5 des
6 provinces de l’époque, alors que les autres partis à vocation nationale
n’avaient eu des élus que dans leurs fiefs régionaux.  Aujourd’hui, après la parenthèse mobutienne
sans démocratie et les soubresauts de la transition, nos vieux démons se
révèlent plus que jamais à l’examen des derniers scrutins. Si les grands partis
à vocation nationale (Udps, Pprd, Mlc, Palu, Unc etc.) ont une assise certaine,
leurs zones d’influence territorialisées indiquent que la portée de leurs
messages politiques est limitée dans l’espace. D’ailleurs, à l’exception de
Kinshasa qui se trouve être une mégalopole caractérisée par un certain « melting-pot »,
presque tous les parlementaires ont été élus dans leurs fiefs ethniques.

 

Ainsi, le message politique subit les interférences
identitaires qui sont par définition réductrices. Il se vide de sa substance en
se réduisant au slogan : « votez pour moi car je suis des
vôtres… » C’est la porte ouverte à la politique du ventre, au clientélisme
ethnique voire au népotisme. Dans la chasse au vote identitaire, le recours à
la démagogie est souvent la panacée car il faut flatter l’instinct grégaire et
le sentiment d’appartenance ethnique. Aussi, les dérives peuvent être
nombreuses et même tragiques, comme au Katanga où à plusieurs reprises des populations
non autochtones ont été désignées à la vindicte populaire et violentées
indignement.

 

Les interférences identitaires brouillent également le
jugement de valeur sur la nature et la validité du message politique, et aussi
sur les compétences ou les capacités réelles des candidats. C’est ainsi que
l’on portera sa préférence sur le parti politique de « l’enfant du
coin » nonobstant la ligne ou l’idéologie du parti en question, de même on
ne retiendra que la capacité du candidat à redistribuer aux siens.

 

Pour prendre un exemple édifiant sur la non pertinence
idéologique des mouvements politiques congolais, on ignore souvent que les deux
partis politiques les plus opposés aujourd’hui en RDC, le Pprd et l’Udps, sont
en théorie tous les deux du même bord politique. Le Pprd est quelque part héritier
de l’Afdl, qui elle-même fut animée par quelques anciens des rébellions
marxistes des années soixante au Congo (L.D. Kabila, Abdoulaye
Yerodia…) ;  l’Udps a, quant à elle,
proclamé son ancrage dans la social-démocratie… Sans parler du Palu qui se
réclame volontiers du « lumumbisme ». Les intérêts politiques (et
économiques) divergents, la lutte pour le pouvoir et certaines interférences
identitaires on supplanté significativement le débat idéologique sur des choix
de société qui pourtant convergent théoriquement…

 

LA PRAXIS ETHNO-POLITIQUE

 

Dans un contexte post-électoral où le vote identitaire a été
dominant, le réalisme politique rend incontournable la prise en compte de ce
paramètre dans la gestion politique du pays. Du temps de Mobutu, où le
centralisme politique et administratif était le crédo officiel, on a pratiqué
un certain brassage des dirigeants et cadres issus de diverses régions du pays.
Cette politique avait un côté positif dans ce sens que  l’aspect identitaire national des individus était
valorisé au détriment de leur identité ethnique. Mais, même dans ce contexte de
« jacobinisme tropical » le dosage ethnique restait un fait
incontournable pour amener à un équilibre institutionnel (quoique déséquilibre
il y avait tout de même à certains postes-clés comme la sécurité et l’armée).  

 

Avec les élections des dirigeants et les perspectives de
décentralisation, il faut désormais gérer la nouvelle donne en prenant en
compte les intérêts communautaires des uns et des autres. Pour le chef de l’exécutif,
là ou le dosage ethnique était un « fait du prince », il est désormais
une exigence de gouvernance. D’autre part, le débat induit par l’exigence de la
décentralisation met en perspective les intérêts particularistes, notamment
dans les régions riches en ressources naturelles, mettant à mal le principe de
la solidarité nationale. Cela a aussi une incidence sur le secteur économique
car généralement les entreprises qui viennent investir dans notre pays sont
soumises à des exigences des communautés locales parfois exorbitantes du cahier
des charges imposé par l’Etat.

 

Ainsi, gérer l’Etat dans un contexte de « transition
démocratique » africaine impose des exercices d’équilibrisme « géopolitique »
afin de contenter tous les particularismes identitaires. Sans quoi le pouvoir
peut saper ses assises, et on peut même voir se profiler ou ressurgir les querelles
et les antagonismes qui ensanglantèrent le pays par le passé. Les dirigeants
subissent aussi les pressions de leurs propres communautés ethniques qui, dans
un contexte de légitimité fragile ou de paranoïa du pouvoir, se présentent comme
les véritables remparts contre l’adversité d’où qu’elle vienne.

 

Au vu de tout cela on peut avoir le sentiment qu’il ya recul
dans la manière dont la politique s’appréhende chez nous, et que le passé nous rattrape.
Assurément le chemin vers une démocratie « positive » est encore
loin. Mais, si le réalisme politique commande de tenir compte de tous ces
aspects, il faut une bonne dose de courage et de volonté politique pour faire
bouger les lignes, afin que la démocratie puisse y gagner…



28/03/2012
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