Le Blog de Charles Kabuya

LES COURANTS D’AIR DE BANGUI

 

La RD Congo est bordée au nord par la République Centrafricaine qui est en proie à une instabilité politique chronique. Si ce pays ne retrouve pas une cohésion politique suffisante et une normalisation institutionnelle, il risque de se muer en foyer de déstabilisation pour une grande partie de l’Afrique centrale. De ce point de vue, la RDC est particulièrement exposée.

 

Depuis son l’indépendance en 1960, l’ancien territoire colonial de l’Oubangui-Chari a toujours vécu au rythme des luttes de pouvoir. Après la mort dans un accident d’avion non élucidé de Barthélemy Bonganda, le père de l’indépendance et éphémère premier président de ce territoire baptisé en 1958 République Centrafricaine, les luttes ont d’abord opposé des dauphins Abel Goumba et David Dacko. Ce dernier, et par ailleurs cousin de Bonganda, l’emportera. Mais il sera déposé en 1966 par son propre cousin Jean-Bedel Bokassa dont les frasques et la mégalomanie achèveront de caricaturer la Centrafrique et de ridiculiser les hommes d’état africains. En 1979, le président français Valéry Giscard d’Estaing enverra ses troupes mettre un terme à l’épisode de son ami Bokassa, qui s’était couronné empereur, dans une opération militaire digne de la Françafrique. La France remettra au pouvoir David Dacko, tiré de son exil parisien et emmené dans les soutes des avions militaires français. Un nouveau coup d’état interviendra en 1981 et sera l’œuvre du général André Kolingba qui établira un régime militaire jusqu’en 1993. Lui-même sera emporté par le vent de démocratisation qui soufflera en Afrique au début des années 1990, car à l’issue des élections très disputées c’est Ange-Félix Patassé qui sera proclamé président.

 

Alors qu’on croyait l’époque des coups de force révolue, le président Patassé sera déposé par le général Bozizé en 2003 avec l’aide des français et des contingents tchadiens. Des témoins affirment que les mirages de l’armée française survolaient Bangui et signalaient les positions des troupes gouvernementales aux hommes de Bozizé. Cet épisode a été traumatisant pour les populations civiles qui connurent des exactions dont sont notamment accusées les troupes de l’ancien vice-président congolais, allié à l’époque au président déchu Patassé, et qui est actuellement poursuivi pour ces faits par la Cour pénale internationale. Mais l’arrivée de ce nouvel homme fort au pouvoir, dont les manières expéditives furent parfois critiquées, sera aussi le début d’une longue guerre civile menée par une rébellion issue du nord du pays, à la lisière du Tchad, et qui vient de connaitre un épilogue récent (et provisoire?) avec la chute du pouvoir de François Bozizé.

 

Aujourd’hui c’est l’ancien diplomate Michel Djotodia qui tient la barre à Bangui, il est le chef de la coalition séléka qui est venue à bout de Bozizé. C’est une organisation regroupant plusieurs groupes rebelles, mais ayant une forte connotation nordiste. Les hommes du nord ont été le fer de lance de cette conquête militaire, et aujourd’hui ils forment le noyau de la nouvelle armée. Tout cela a un parfum de revanche car les populations du nord, en majorité musulmanes et souvent proches ethniquement des tchadiens, se sont toujours senti marginalisées. Car le pouvoir a toujours été exercé par l’élite chrétienne de Bangui. D’ailleurs quelques actes de violence et de vandalisme à l’endroit des ecclésiastes et des édifices chrétiens ont été signalés dans certaines localités conquises par les rebelles. Il faut dire que dans cette escalade toutes les tentatives de médiation n’ont pas porté de fruit. Les accords de Libreville, initiés par les chefs d’états de la région, ont débouché sur la formation d’un gouvernement d’union nationale, mais l’impasse a persisté, chacun avait manifestement un agenda caché. Les troupes africaines intégrées dans la Fomac (Force multinationale d’Afrique centrale) n’ont jamais combattu les rebelles, elles sont même accusées par les sud-africains d’avoir pris la poudre d’escampette au premier coup de feu.

 

Mais ne soyons pas naïfs, des ombres se profilent derrière cette rébellion qui a disposé d’une puissance de feu supérieure à celle des troupes gouvernementales, mais surtout à celle des troupes sud-africaines, présentes en Centrafrique dans le cadre d’un accord de défense. Ces dernières ont déploré des pertes substantielles en vies humaines, plaçant le président Jacob Zuma dans une position délicate auprès de son opinion publique. Le Tchad est une fois de plus cité, et probablement que la France, avec ses moyens technologiques, n’a rien ignoré de ce qui se tramait… Ce volte-face ou ce lâchage de l’ex-allié Bozizé est troublant à plus d’un égard. Certes ce général qui avait troqué son uniforme contre un costume civil n’était pas un démocrate irréprochable, ni même un grand pratiquant de la bonne gouvernance, mais en la matière il n’avait rien à envier à ses pairs en Afrique centrale, à commencer par le président à poigne du Tchad, nouveau grand allié de la France socialiste. Eh! Oui… C’est cela la realpolitik, elle a fini par rattraper le nouveau président français. Les intérêts de son pays passent désormais en premier et on met un mouchoir par-dessus les considérations idéologiques.

 

La Centrafrique est un pays qui présente un intérêt géologique certain, ses gisements de diamants sont connus, et célèbres depuis que ses pierres précieuses ont causé la perte de l’ancien président Giscard d’Estaing, accusé d’avoir bénéficié des largesses de Bokassa. Son uranium attise également les convoitises, et surtout on évoque aujourd’hui des gisements pétroliers considérables. D’après Bozizé les chinois s’apprêtaient à faire jaillir la première goutte de pétrole centrafricain cette année. Le pays se retrouve ainsi au milieu d’intérêts croisés, occidentaux et africains mêlés. Le Tchad, en plus de la manne pétrolière de son voisin serait intéressé par les eaux de l’Oubangui pour alimenter son lac qui se dessèche ainsi qu’une partie de son territoire. Sans compter qu’en contrôlant les rebelles centrafricains il contrôle en même temps le pouvoir à Bangui et sécurise sa propre frontière. Quant à l’Afrique du sud, elle devait certainement être payée en retour pour sa mission d’encadrement de l’armée gouvernementale, n’oublions pas que son industrie diamantifère est l’une des plus importantes au monde… Enfin la France, qui dispose sur place d’une base militaire a toujours voulu garder la main sur ce pré-carré, faisant et défaisant à sa guise les pouvoirs, dans son intérêt bien-sûr… Bokassa avait expliqué dans son livre comment la France a exploité discrétionnairement l’uranium centrafricain pendant des décennies, sans respecter aucun cahier des charges et sans que les autorités du pays ne puissent contrôler les quantités de minerais extraits. Dans le style « circulez y a rien à voir… » A la moindre protestation la France coupait les vivres au gouvernement et les fonctionnaires ne pouvaient plus être payés.

 

Dans un pays aussi exsangue, avec une situation économique catastrophique que les derniers pillages effectués par les rebelles et par les populations démunies des faubourgs ont plus qu’aggravée, on se demande où le nouveau pouvoir trouvera de nouvelles ressources pour relancer le pays. Nul doute qu’il devra se soumettre à ses mentors afin d’obtenir les soutiens nécessaires. Mais quel sera le prix à payer ? D’autre part, la coalition tiendra-t-elle suffisamment longtemps pour remettre le pays sur les rails lorsqu’on connait l’appétit insatiable du pouvoir des hommes politiques africains ? La société civile, l’opposition non armée et une partie de la population ne finiront-elles pas par se rebiffer en voyant le pays contrôlé de l’extérieur et son armée noyautée par son encombrant voisin ? Déjà qu’environ 3.000 soldats ougandais circulent sur les terres orientales du pays, lancés sur les traces du rebelle psychopathe ougandais Joseph Kony, le leader de la tristement célèbre LRA qui sévit également dans la province orientale de la RDC.

 

Si le nouveau pouvoir centrafricain n’est pas à même de contrôler efficacement son territoire, il est à craindre que ce dernier soit livré à tous les courants d’air porteurs de rebellions et de déstabilisation pour les pays voisins. A commencer par la RDC qui, elle-même, a déjà du mal à étendre sa souveraineté sur tout son territoire. Autrement dit, si les vents balayent la Centrafrique, la RDC risque de s’enrhumer… 



10/04/2013
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