Le Blog de Charles Kabuya

L’EXPERIENCE ZAÏROISE : 2. LA ZAÏRIANISATION

 

Dans un premier volet de ce qui est convenu d’appeler « l’Expérience zaïroise » sous le régime du président Mobutu, j’avais évoqué dans un précédent article la politique dite de « l’authenticité » africaine qui avait été initiée dans le domaine culturel.

 

Mais au plan économique le pouvoir initiera également une nouvelle politique qui est considérée par beaucoup d’économistes comme l’acte qui fut à la base de la déliquescence des infrastructures économiques héritées de la colonisation belge et qui fut aussi à l’origine de la régression dans plusieurs secteurs, comme l’industrie, l’agriculture ou encore l’élevage. Cette politique partait d’un postulat au demeurant noble, car il s’agissait de « zaïrianiser » les moyens de production qui étaient entre les mains des opérateurs économiques expatriés. Elle découlait, elle-même, d’un processus de nationalisations qui avait eu lieu auparavant dans le secteur minier.

 

A cause de l’impact majeur qu’elle a eu sur le secteur économique du pays et des bouleversements qu’elle a causés sur le plan socio-politique, cette expérience de « zaïrianisation » de l’économie mérite d’être rappelée à notre mémoire, au moment où l’économie de la RDC est à la croisée des chemins pour son développement.

 

Pour rassurer les investisseurs, le gouvernement avait élaboré un nouveau code des investissements qui fut mis en vigueur le 26 juin 1969. Il appâtait les investisseurs en leur offrant des facilités et des dispenses en matière fiscale tout en leur faisant miroiter des bénéfices maximaux. Un grand nombre d’entreprises s’installèrent au pays, parmi elles des multinationales telles que General Motors, ITT, Goodyear, Fiat, Renault, Peugeot, First National City Bank, Klökner-Humboldt-Deutz etc. Certains constructeurs automobiles installèrent même des chaines de montage au Zaïre.

 

Mais la nationalisation dans le secteur minier avait créé un contexte nouveau sur plan économique, et le pouvoir congolais décida de poursuivre cette politique nationaliste que la plupart des théoriciens progressistes jugeaient indispensable au développement dans les pays du Tiers-monde. Il s’agissait tout simplement de s’approprier les moyens de production et d’africaniser le secteur économique afin de combattre la mainmise des capitaux occidentaux sur l’économie du pays, qui s’apparentait à une forme de néo-colonialisme. Plus symboliquement, il s’agissait du remplacement de la petite bourgeoisie coloniale belge par une nouvelle bourgeoisie zaïroise. Telle fut la démarche de la zaïrianisation, annoncée par le président Mobutu dans deux discours, le 4 octobre et le 30 novembre 1973.

 

Dès 1974, 1920 plantations et 120 sociétés belges furent zaïrianisées. Des entrepreneurs français, allemands, britanniques se trouvèrent frappés par la mesure, ainsi que des petits commerçants grecs, portugais et pakistanais qui quittèrent alors le pays. Un dédommagement était prévu pour les personnes expropriées par le Zaïre dans les 10 ans. Il faut cependant noter que cette mesure de zaïrianisation ne concerna pas les grandes multinationales qui avaient investi dans le cadre du code des investissements de 1969. D’autre part, une multinationale comme Unilever, présente au Congo depuis 1902  et connue pour la férocité de ses méthodes d’exploitation des plantations à l’époque coloniale, fut curieusement épargnée alors qu’elle détenait toujours le monopole de la production de l’huile de palme. Pour ne pas être inquiétés, d’autres grands trusts acceptèrent des dignitaires zaïrois dans leur capital et leur conseil d’administration.

 

Les critères de sélection des acquéreurs zaïrois ne furent pas les plus pertinents et les plus équitables, et c’est le moins que l’on puisse dire. En effet, la famille présidentielle, les  caciques du MPR (le parti unique) et leurs proches s’attribuèrent les affaires les plus importantes et les plus juteuses. Pour exemple, en juillet 1974 le président de la République fonda avec son épouse une société dénommée Celza (Cultures et élevages du Zaïre) à laquelle il fit apport de 14 entreprises agricoles belges qu’il s’était attribuées. D’une manière générale, les nouveaux acquéreurs conduisirent rapidement la plupart des entreprises zaïrianisées à la faillite. Très souvent ignorants des règles de gestion, ils se servirent dans les caisses des sociétés pour s’offrir un train de vie luxueux et ils dilapidèrent les fonds de commerce. La catastrophe sera généralisée, notamment dans le secteur agricole où des plantations seront à l’abandon, avec des récoltes qui vont pourrir, aggravant la crise alimentaire.

 

Le gouvernement fit lui-même un constat d’échec et prit des mesures qui étaient censées limiter les dégâts. Mais en réalité, dans une sorte de fuite en avant, il poursuivra sa logique jusqu’au bout et alourdira paradoxalement les mesures pour tenter de suppléer aux carences des acquéreurs dans certains domaines jugés importants. C’est ce que l’on va appeler la radicalisation. Elle a consisté à transférer aux mains de l’Etat des entreprises déjà zaïrianisées dans plusieurs secteurs : transports, distribution, construction, certaines entreprises agricoles et industrielles. Mais c’était un aveu d’échec sanctionnant le fait que les acquéreurs zaïrois n’avaient pas été à la hauteur du défi.

 

Il faut toutefois souligner que beaucoup d’acquéreurs zaïrois se heurtèrent à des difficultés causées intentionnellement par les partenaires commerciaux  européens des anciens propriétaires. Apparemment ce paramètre ne fut pas suffisamment pris en compte car les relations commerciales sont fondées sur la confiance. Or la solvabilité des nouveaux acquéreurs n’était pas garantie.  Il est aussi probable que par cette nouvelle mesure dite de radicalisation, le président Mobutu entendait mettre fin au développement d’une bourgeoisie financière zaïroise qui aurait pu devenir incontrôlable.

 

Cependant, les délégués généraux nommés pour représenter l’Etat au sein de ces entreprises échouèrent également à les redresser. Sélectionnés arbitrairement parmi les dirigeants du parti, ils succombèrent eux aussi à la tentation du luxe et du détournement des fonds. Cette fois ci le constat d’échec fut fait par le président Mobutu lui-même dans un discours dénonçant le «mal zaïrois » au congrès du MPR de novembre 1977.

 

En réalité, face aux premiers échecs de la zaïrianisation, des mesures dites de stabilisation avaient été prises dès le 25 novembre 1975. Les anciens propriétaires des entreprises pouvaient récupérer 40% de leur capital. Puis, le 17 décembre 1976 on entama une nouvelle phase de stabilisation avec cette fois-ci 60% du capital pour l’ancien propriétaire et le reste pour des partenaires zaïrois. C’est ce qu’on appela la rétrocession des entreprises à leurs propriétaires. Mais la plupart de ceux-ci posèrent des conditions au gouvernement zaïrois, principalement celle de leur trouver des financements pour relancer les entreprises. D’autres se contentèrent de récupérer les actifs pour les revendre.

 

Ce fut la fin sans gloire d’une aventure économique basée sur un postulat qui était pourtant défendable : celui d’une indépendance économique indispensable au développement. Le pays ne se remettra jamais de l’échec de cette politique. Des pans entiers de l’économie furent sinistrés. Les domaines agricoles ayant été détruits, le pays s’enfoncera dans une crise alimentaire qui persiste jusqu’à aujourd’hui et nécessite  l’importation d’énormes quantités de denrées alimentaires, ce qui est paradoxal pour un pays qui dispose de plusieurs millions d’hectares de terres arables et pourrait devenir le grenier de l’Afrique. Mais surtout, en dehors du secteur minier et du bois, le pays n’exporte presque plus rien.

 

Faut-il en conclure que l’homme congolais n’était pas prêt pour assumer la prise en main de son économie ? Dans tous les cas nous devons en prendre de la graine, et par exemple nous interroger sur le caractère judicieux ou non de la récente mesure visant à réserver l’exercice du commerce de détail aux seuls nationaux. En effet, dans un pays où la très grande majorité des citoyens a un faible pouvoir d’achat, la compétitivité des prix dépend du dynamisme des opérateurs économiques et non de leur nationalité…

 



04/05/2013
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