Mon avis sur la polémique au sujet de la libération massive des prisonniers en RDC
La polémique en cours après la libération de près de 2.000 prisonniers de la prison centrale de Makala à Kinshasa, suivie d'une autre vague de libérations à la prison de Kassapa à Lubumbashi, appelle plusieurs observations, surtout après la récente missive, rendue publique, du Procureur général près la Cour de Cassation contredisant dans des termes peu ambigus les décisions prises par le Garde des sceaux.
Juste après la mise en place du gouvernement, il était apparu clairement une divergence (c'est un euphémisme) entre la Chancellerie et le Conseil supérieur de la magistrature sur la politique carcérale de la république. Après les déclarations contradictoires faites d'un côté par le président du CSM, remettant en question les initiatives du ministre de la justice, et de l'autre par ce dernier, affirmant haut et fort sa volonté de poursuivre des réformes profondes de l'appareil judiciaire congolais, le Chef de l'état et la Cheffe du gouvernement avaient calmé le jeu en ordonnant le recours à un cadre de concertation pour aplanir les divergences. D'autant plus que les syndicats des magistrats s'en étaient mêlés.
Mais, par sa dernière lettre faisant injonction aux parquets de rechercher des prisonniers libérés, et dans laquelle leur élargissement par le Garde des sceaux est qualifié ni plus ni moins “d'évasion”, tout en pointant par ailleurs des cas de récidive ainsi qu'une recrudescence d'actes criminels dans la capitale, le Procureur général près la Cour de Cassation a remis de l'huile sur un feu qui avait déjà du mal à s'éteindre.
En effet, dans sa réplique (qui ne s'est pas fait attendre) le ministre d'État à la justice a réaffirmé la poursuite de la politique de désengorgement des prisons et de leur humanisation face notamment aux incarcérations abusives. Il a rappelé au passage qu'il agissait sur instruction du magistrat suprême et il a conclu sur une de ses tirades de prédilection, faisant allusion au “salut du peuple comme loi suprême”.
Ces joutes épistolaires (voulues publiques) au sommet de l'institution judiciaire font apparaître le grand malaise qui y règne. On se souvient que le Chef de l'État avait lui-même pointé à plusieurs reprises une “justice malade”, mettant en cause notamment l'intégrité des magistrats et affichant la volonté de prendre des initiatives réformatrices. C'était d'ailleurs une de ses promesses de campagne.
La nomination d'un jeune ministre volontariste semble indiquer qu'il a reçu carte blanche pour bousculer cette institution dont le rôle est crucial pour remettre la RDC sur les rails de la bonne gouvernance et de la paix sociale. En effet, la distribution d'une justice équitable est l'une des conditions du retour de la confiance dans les institutions et de la résolution des conflits sur le territoire national. Du reste, la justice est l'une des composantes de la devise inscrite au fronton de la république.
Cependant, ce n'est pas la première fois qu'une volonté politique s'affiche dans le but de “réparer” la justice congolaise. Et force est de constater que l'on peine à avancer depuis plusieurs décennies pour améliorer notre système judiciaire.
C'est pourquoi il est important de bien cerner les enjeux, d'évaluer les moyens et de définir les priorités.
Sur le cas spécifique de la politique carcérale, qui est actuellement au centre des dissensions ci-dessus évoquées, l'un des enjeux principaux est l'équité dans la procédure afin d'en finir avec les incarcérations abusives, ou comme moyen de pression sur les prévenus. Ici on doit rappeler le principe qui fait de la liberté la règle et de la détention préventive l'exception. Ainsi par exemple, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme estime que : “Le maintien en détention doit s'appuyer sur quatre motifs interprétés strictement : « le danger de fuite de l'accusé (...), le risque que l'accusé, une fois remis en liberté, n'entrave l'administration de la justice (..), ne commette de nouvelles infractions (...) ou ne trouble l'ordre public (...)”
Malheureusement, il est un fait indéniable que la justice congolaise ne protège pas suffisamment contre l'arbitraire des incarcérations. Tandis que les arrestations s'accompagnent dans plusieurs cas d'une volonté d'humilier par des mises en scène diffusées sur les réseaux sociaux, comme on l'a vu encore récemment.
S'agissant du risque de récidive et de troubles à l'ordre public, faits évoqués par le Procureur général près la Cour de Cassation, le ministre de la justice a argué qu'une commission ad-hoc a été mise en place, laquelle a proposé des listes des détenus pouvant bénéficier d'une libération conditionnelle.
Cependant, il faudrait évaluer cette commission afin de s'assurer qu'elle fait correctement son travail. Car libérer des individus qui ne répondent pas aux critères ou qui sont dangereux serait contraire à l'intérêt général. Le but de la justice c'est aussi de garantir la sécurité pour les paisibles citoyens en agissant contre les auteurs d'infractions et crimes dans le respect de la loi.
Mais pour atteindre ces objectifs, il faut des moyens permettant de garantir une procédure équitable, qu'il s'agisse de l'exécution du contrôle judiciaire ou des conditions d'incarcération, lorsqu'elle est “in fine” décidée dans le cadre de la comparution ou prononcée à l'issue d'un procès.
Or il s'avère que la police judiciaire et les parquets sont dépourvus de moyens pour exercer un contrôle judiciaire efficace, pouvant assurer notamment des garanties de représentation. Un “kuluna" dans la nature est difficile à contrôler, et à fortiori à récupérer. D'où peut-être que les magistrats sont enclins à placer fréquemment sous mandat d'arrêt provisoire une certaine catégorie de prévenus. Ici il serait nécessaire de mettre en place plus de moyens de contrôle modernes (fichier informatique des délinquants, empreintes biologiques, garants et cautions etc) pour limiter ce phénomène.
Comme on l'a vu, le nerf de la “guerre” actuelle au sein de l'institution judiciaire est la politique carcérale, dont le ministre de la justice a fait son cheval de bataille, en insistant plus particulièrement sur les conditions de détention. On ne peut que lui donner raison de dire haut ce que tout le monde sait : nos prisons sont des mouroirs indignes d'un pays civilisé.
La cause principale de cette situation honteuse est la surpopulation carcérale. L'État congolais n'a pas construit de nouvelles prisons depuis l'indépendance, et la plupart de celles qui existent sont en ruines. La plus grande prison du pays, celle de Makala à Kinshasa, fut construite à l'époque coloniale pour 1.500 prisonniers, aujourd'hui elle en compte plus de 15.000, soit 10 fois plus ! Et c'est le seul centre pénitentiaire civil de la capitale, une mégalopole qui compte plus de 15 millions d'habitants.
Pour prendre un exemple, la région parisienne a environ 13 millions d'habitants et compte 17 établissements pénitentiaires où sont détenus 13.000 prisonniers. Et il est estimé qu'il y a surpopulation carcérale car le taux d'occupation est de 130%, alors qu'à Makala il est de 1000% (!), sans compter l'insalubrité, la promiscuité, les maladies et la malnutrition…
Ainsi il apparaît une nécessité urgente de mettre au standard acceptable des prisons congolaises. Ce que le ministre de la justice appelle l'humanisation des prisons. Mais elle ne peut se faire que par un choix éclairé et déterminé des priorités.
La première de celles-ci est la construction rapide des prisons, notamment à Kinshasa, pour baisser significativement la surpopulation à un ratio plus humain.
C'est à cette condition que la demande faite aux magistrats de cesser d'envoyer des prévenus à tour de bras en détention aura un sens. En effet, l'incarcération perdrait tout sens dissuasif, ainsi que son rôle (punitif) de régulateur social si on peut l'éviter uniquement par manque de places. Et dans ces conditions, le risque d'une explosion de la criminalité est réel si des alternatives ne sont pas trouvées, à l'instar du service civique qui semble bien remplir sa mission de réinsertion sociale des jeunes délinquants. Mais il faudrait l'encadrer par un processus judiciaire formel.
C'est ainsi que les libérations massives seules ne sont pas la panacée. Elles devraient s'inscrire dans le cadre d'une lutte contre les causes profondes de la surpopulation carcérale et des conditions sordides de nos prisons, qui, au-delà l'insuffisance des places de détention, sont : la condamnation trop excessive à de longues peines de prison, le placement d'un trop grand nombre de personnes en détention préventive et les retards excessifs dans la procédure d'instruction.
Pour parvenir à un résultat tangible, chacun devra jouer sa partition. À l'exécutif de fournir les moyens à la fois pour les prisons, les personnels de l'administration judiciaire et les magistrats, et de veiller à la distribution d'une justice équitable ; tandis que le Conseil supérieur de la magistrature doit quant à lui s'appliquer à l'assainissement moral et professionnel de la magistrature. Et c'est ici que réside probablement le plus grand défi…
Me Charles KABUYA
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