POURQUOI LE GOUVERNEMENT SUMINWA SUSCITE AUTANT D'IMPATIENCES ?
Au cours des dix dernières années, la République démocratique du Congo a connu cinq chefs de gouvernement (Augustin Matata Ponyo, Samy Badibanga, Bruno Tshibala, Sylvestre Ilunga, Jean-Michel Sama Lukonde). Mme Judith Suminwa, première femme à être nommée cheffe du gouvernement, est la sixième.
Lorsque nous faisons une évaluation attentive et objective de la situation générale de la RDC au cours de cette période décennale, il apparaît clairement une évidence :
La plupart des problèmes qui se posaient il y a dix ans demeurent sans réponses satisfaisantes.
Il ne s'agit pas d'affirmer que les gouvernements successifs n'ont pas agi suffisamment pour les résoudre, mais le contexte particulier de la RDC comporte une lourde hypothèque : la déstabilisation de la partie est du pays depuis bientôt 3 décennies a considérablement compliqué la gestion du pays, en l'ayant privé des atouts et de tout le potentiel intrinsèque qu'il possède par sa dotation naturelle.
Malgré cela, le pays a connu des avancées en termes de croissance économique et de croissance budgétaire notamment (le budget du pays a été multiplié de façon exponentielle ces dix dernières années, en particulier sous le mandat de Félix Tshisekedi).
La montée en puissance de l'armée congolaise, de mieux en mieux équipée et garnie de troupes beaucoup mieux formées, est une autre avancée notée par les spécialistes des questions de défense, dont les classements placent régulièrement les Fardc parmi les dix meilleures armées africaines.
Cependant, si les indicateurs macroéconomiques sont encourageants et la restructuration de l'armée à saluer, les grands défis demeurent de manière constante sur plusieurs fronts, au grand dam des populations dont le vécu quotidien est toujours une lutte pour la survie depuis des décennies.
En effet, le pays est vaste et désinfrastructuré depuis l'indépendance. Il est en croissance démographique constante, ce qui relativise les indicateurs macroéconomiques.
Et si les problèmes sécuritaires demeurent, principalement dans l'est du pays, malgré la bonne tenue de l'armée et l'appui des jeunesses patriotiques, c'est parce que l'ennemi en face s'adapte, ruse, mute tel un virus, décidé et appuyé pour maintenir une insécurité qui lui est profitable pour organiser l'évasion des richesses naturelles de la RDC, causant au passage des préjudices inhumains aux populations locales.
La défense de notre territoire est un gouffre pour le budget d'un pays fragilisé par une guerre imposée, et ravagé par les antivaleurs, surtout les détournements des fonds publics qui défraient la chronique régulièrement. Malgré sa croissance, ce budget ne reflète pas encore le potentiel économique du pays, pris en tenaille par divers réseaux d'évasion de fonds destinés au Trésor public.
C'est ainsi que la plupart des problèmes sociaux liés au pouvoir d'achat, notamment les salaires dans la fonction publique, n'ont pas rencontré des solutions satisfaisantes.
Pour prendre l'exemple de la grève actuelle des enseignants, ses motifs sont fondés sur des revendications constantes et des manifestations récurrentes depuis plusieurs années, auxquelles une véritable réponse n'a pas été donnée.
Pourtant il y a une focalisation des attaques, y compris ad hominem, sur la Première Ministre qui est en fonction depuis à peine 4 mois et une expression des exigences atteignant un radicalisme sans concession.
Sur cette question du pouvoir d'achat, le recul du Franc congolais face au Dollar US a été assez régulier depuis des décennies. On notera cependant une certaine stabilisation depuis plusieurs mois, ce qui est à mettre au crédit du gouvernement Suminwa, agissant sous l'autorité du Chef de l'État.
La cause profonde de cette dépréciation monétaire quasi constante c'est le déséquilibre de la balance commerciale, allié à une économie dollarisée. Nous importons plus que nous produisons à l'exportation. Le secteur minier seul ne peut garantir la tenue de la monnaie nationale et pourvoir le pays en réserves de change.
Ainsi les causes objectives sont omises dans les critiques trop précoces à l'endroit de la Première Ministre, qui ne peut en 4 mois résoudre les problèmes structurels de l'économie nationale.
Certes, un chef du gouvernement a pour mission d'apporter des solutions aux problèmes du pays, notamment par les réformes urgentes pour une meilleure gouvernance, par de meilleurs arbitrages budgétaires et par la mise en place des conditions propices à la création massive d'emplois, mais encore faut-il lui accorder le temps nécessaire. D'ailleurs, le budget en cours n'a pas été élaboré sous son égide, et elle n'en n'est qu'à la préparation de la première loi de Finances de son gouvernement.
D'autre part, il n'est pas exclu de songer à des actions manipulatrices de la part de ceux qui lorgnent sur le poste de la cheffe de l'exécutif ou qui ont été laissés de côté lors de la formation du gouvernement, et qui font aujourd'hui le pari de son échec dans l'espoir de revenir au premier plan dans le jeu politique.
Enfin, une autre problématique de la gestion du pays concerne la structure décentralisée des pouvoirs exécutifs. Les entités décentralisées, les organismes spécialisés de l'État et certaines entreprises publiques ont des responsabilités immenses dans leurs secteurs, mais qui ne sont pas exercées avec compétences et probité.
Il en est ainsi des infrastructures, qui laissent à désirer ; de l'organisation chaotique des transports ; ou encore des services publics, dont l'incurie est légendaire.
Ces carences persistantes sont elles aussi liées à l'existence déjà dénoncée d'une culture néfaste dans la gestion de la chose publique. Celle-ci exige une action corrective déterminée et soutenue.
Justement, le programme d'action du gouvernement, tel qu'il a été présenté, vise des priorités qui vont à la rencontre des attentes des populations et des acteurs économiques en vue de mettre le pays sur la voie d'un développement harmonieux. Peut-on faire un bilan de son action alors qu'elle n'en est qu'aux prémices d'une prise en main de la conduite de l'exécutif, dont la mise en place a été d'ailleurs très laborieuse ?
Madame Judith Suminwa, qui a une expérience de la gestion de la chose publique et un défi personnel a relever en tant que première femme cheffe du gouvernement en RDC, est au pied d'un mur sur lequel elle doit ajouter ses pierres pour consolider l'édifice Congo. Transformer ce mur en celui des lamentations avec des mises en cause prématurées et anxiogènes ne fait qu'ajouter à la complexité de la situation générale du pays, dont elle a pris la charge dans un contexte où les attentes sont immenses.
Même si l'adage dit : "ventre affamé n'a point d'oreille", il serait juste de donner du temps au temps de la gouvernance, avant toutes les évaluations hâtives, parfois frappées du sceau de l'hypocrisie.
Au fait, certaines impatiences mâtinées de scepticisme ne sont-elles pas dûes à un préjugé du genre, basé sur un a priori sur la femme ?
Sondons nos cœurs et nos consciences…
Me Charles KABUYA
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