Le Blog de Charles Kabuya

QUAND « LA LIBRE BELGIQUE » ET LA PRESSE BELGE INSULTAIENT LES CONGOLAIS

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En Belgique, un climat malsain fut entretenu par une certaine presse à la veille de l’indépendance du Congo. Cette même presse continuera d’ailleurs à sévir au cours de la période sombre qu’allait bientôt connaître le pays. Des  journaux comme « Le soir » ou « La Libre Belgique » ont publié des articles et des éditoriaux incroyablement exécrables. Certains traduisaient une forme de dépit ou une opinion rétrograde par rapport à l’accession à l’indépendance du Congo, mais d’autres étaient ouvertement racistes et n’auraient pas été récusés durant la période de l’occupation nazie. Plusieurs extraits tirés du fascicule intitulé « Congo, La vérité d’un bilan » publié en 1960 (Documents. Cahier n°2, Ed. L’Eglantine, Bruxelles, 1960) sont édifiants sur le ton employé et les opinions exprimées dans la presse belge :

 

Dans le domaine de l’enseignement, on propose encore une ségrégation pour l’après indépendance : « Seuls quelques congolais, sous le contrôle d’inspecteurs européens, seraient admis dans les écoles pour métropolitains…».

 

Plus particulièrement, le journal « la Libre Belgique » (qui donne aujourd’hui des leçons de morale politique aux congolais) va s’illustrer dans des articles marqués au coin du racisme le plus dégoutant. Dans un article paru le 23 juin 1960, on peut lire ceci : « Le départ des femmes et des enfants donne aux hommes un moral du temps de Stanley. Le Blanc, débarrassé de ses plus grands soucis, a maintenant la possibilité de voir les problèmes locaux autrement (…) Il redevient puissant et solitaire ».

 

Dans un autre article, on évoque les maladresses des nouveaux parlementaires africains : « Ces débuts sont respectables comme l’enfance… ».

Assumant ses opinions, le reporter Hugue Vehenne de « la Libre Belgique » fait montre d’un racisme sans détour : « Si la perfectibilité de l’esprit humain est le principe de tout homme d’honneur, elle n’exclut pas des niveaux provisoirement bien différents » ; un racisme parfois anecdotique : « lors du feu d’artifice, beaucoup de congolais crurent qu’on tirait sur les étoiles pour les faire tomber » ; mais surtout, un racisme qui n’hésite pas à faire appel à la science : « Le noir naît semblable au blanc, mais ses aptitudes se développent mal parce que le milieu où se passe son enfance ne propose à son cerveau que des problèmes concrets et rudimentaires; il s’en suit une sclérose précoce et partielle des neurones du cerveau du bébé ».

 

Toujours sous sa plume dans « La Libre Belgique », il évoque « poétiquement » l’enfance de la génération de l’indépendance : « à califourchon sous les lombes brûlants des mamas, le nez et la joue écrasés sur une souple colonne vertébrale, ne voyant qu’un large dos musclé, ne respirant qu’au large rythme de la poitrine maternelle, n’apercevant les choses que de biais, parfois sous la courbe d’une aisselle safranée. Pétrie de torpeur de mer imprégnée, bourrée de tous les atomes véhéments qu’une femme peut communiquer à son enfant, telle fut la génération de l’indépendance ». Il poursuit : « dans le monde du noir, il ne se passe rien, il s’ensuit que le cerveau ne met en marche que le plus petit nombre de neurones, et le blanc ne peut que constater l’incapacité du noir à analyser et à synthétiser ». Enfin il conclut par ce constat: « Les enfants blancs des quartiers sont, eux aussi parfois, des sous-évolués, mais au moins en milieu civilisé, les sollicitations de l’œil, de l’ouïe, de l’instinct et de l’esprit sont continuelles (…) ». On n’est pas loin de Gobineau et de la littérature racialiste qui a inspiré le fascisme en Europe…

 

Le fait que des propos d’une telle fureur raciste aient été publiés au grand jour dans la presse nationale belge est assez significatif de l’état de l’opinion en Belgique au cours de la période de l’indépendance.

 

Mais, ces conceptions racistes sont plus ancrées qu’on ne le croit encore aujourd’hui, cette presse ayant certainement contribué à les répandre insidieusement dans l’esprit des gens en Belgique. Lieve Joris, une journaliste belge qui fit au milieu des années quatre-vingt un voyage sur les traces de son oncle, missionnaire dans le Congo colonial, rapporte un florilège de lieux communs racistes émis par des belges rencontrés sur sa route, dont des missionnaires. Il y a entre autres propos :

« Les noirs sont comme les enfants » ; « (…) Sans les blancs, ils ne sont rien, on l’a vu après l’indépendance, c’est comme si on confiait la clé de la maison à un gosse de cinq ans en lui disant : « débrouille-toi » ; « Quand j’arriverai au ciel, je demanderai à Dieu d’ouvrir le crâne d’un noir, car je voudrai bien voir ce qu’il y a dedans » ; « La seule chose qu’ils sachent faire c’est de la musique, (…) et encore, il faut aimer ce genre de roucoulement » ; « Il ne faut jamais te montrer faible face à un noir (…) quand on n’est pas leur maître, on devient leur proie. S’ils doivent choisir entre Jésus et Barabbas, ils choisissent Barabbas » ; « Au Congo, ce n’est plus comme avant (…) on n’est plus chez nous…» etc. (Lieve Joris, Mon oncle du Congo, Actes Sud, 1990)

 

Si aujourd’hui le journal « La Libre Belgique » a policé ses écrits, on décèle toujours en filigrane ce passé à travers des prises de positions paternalistes ou faisant fi de l’indépendance et la souveraineté du Congo. Ce qui est triste c’est le fait qu’une certaine élite politique congolaise fait encore de ce journal, un tantinet réactionnaire, leur nourriture spirituelle…

 

Charles Kabuya 

 

(Extrait de mon livre « Congo, Terre d’enjeux. De la conquête coloniale à la quête d’un destin »)



21/10/2016
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