RDC : UN ACCORD, DÉSACCORDS...
La crise politique qui couvait en Rdc depuis plus de deux ans, en prévision de la fin du deuxième et dernier mandat constitutionnel du président Joseph Kabila (qui était fixée au 19 décembre 2016), s’est muée brusquement, au cours des quatre derniers mois, en joutes politiciennes frisant l’imbroglio, et dont l’épilogue n’apparait pas clairement à l’horizon immédiat.
Au départ de la crise il y a eu les soupçons légitimes de l’opposition congolaise sur l’éventuelle intention du pouvoir de vouloir jouer les prolongations du mandat présidentiel ou d’essayer de modifier la constitution pour permettre au chef de l’état de se représenter encore à l’élection présidentielle, comme cela s’est fait dans quelques pays limitrophes (Rwanda, Burundi, Congo-Brazza…) Cette conviction étant renforcée par la non préparation des élections dans les délais constitutionnels et les propos sans ambigüité de certains membres de la Majorité présidentielle à titre individuel.
Dans sa communication, le pouvoir a toujours clamé haut et fort que la constitution sera respectée dans toutes ses dispositions (sous-entendu en ce qui concerne le nombre des mandats présidentiels aussi). D’ailleurs dans son récent discours à la Nation, Joseph Kabila a souligné que son sort était déjà réglé par la constitution… D’autre part, le pouvoir a justifié cette impréparation des élections par des difficultés budgétaires, rappelant que tous les scrutins antérieurs avaient reçu le concours financier des partenaires extérieurs. (La Commission électorale estime le coût des élections à près de 1,8 milliards USD, alors que le budget 2017 de la RDC a été ramené à 4,5 milliards USD)
Devant cette présentation en forme de quadrature du cercle à résoudre, l’opposition a accentué sa pression ainsi que les menaces d’en appeler à la rue pour chasser le pouvoir ou du moins rendre le pays ingouvernable. En janvier 2015 des manifestations de l’opposition contre une loi conditionnant la tenue des élections au recensement préalable de la population ont tourné en émeutes et pillages, principalement dans la capitale, faisant 42 morts selon la FIDH. Plus récemment, en septembre 2016 d’autres manifestations se sont soldées par une vingtaine de morts selon le bilan officiel.
Alors que l’horizon paraissait assombri par la crise politique et que l’opposition, revigorée par la défection de certains caciques du pouvoir, s’était radicalisée, la Résolution N° 2277 du 29/03/2016 du Conseil de Sécurité des Nations Unies sur la République Démocratique du Congo tout en prorogeant d’une année le mandat de la Monusco va également faire un certain nombre de recommandations au gouvernement et aux acteurs politiques congolais pour sortir de la crise. L’une d’elles étant la tenue d’un dialogue national inclusif afin de préparer les conditions de la tenue d’élections transparentes et crédibles, dans le respect des délais constitutionnels.
DU RADICALISME AU RÉALISME
Saisissant la balle au bond et suivant les recommandations similaires de l’Union africaine à travers l’Accord-cadre d’Addis-Abeba notamment, le chef de l’état va appeler au Dialogue national sans vraiment convaincre la frange radicale de l’opposition. Cette dernière s’en tenant au respect strict de la constitution et réitérant haut et fort son refus de tout glissement du calendrier électoral. Mais finalement avec la nomination de l’ancien premier ministre togolais, Edem Kodjo, comme facilitateur du Dialogue par l’UA, le réalisme politique va l’emporter sur le radicalisme. L’implication de certains chefs d’état africains ayant probablement été décisive, quelques partis importants de l’opposition vont répondre à l’invitation du facilitateur à la bien nommée Cité de l’Union Africaine à Kinshasa. Saluons au passage tous ces membres de l’opposition qui ont fait preuve de réalisme en privilégiant la voie du dialogue à celle des affrontements violents. Et qui pour certains ont subi des casses au sein des instances de leurs partis et auprès de leurs militants radicalisés.
Le Dialogue de l’Union africaine a eu lieu du 1er septembre au 18 octobre 2016. Son déroulement a été émaillé de quelques incidents, notamment la suspension de la participation des représentants de l’église catholique ainsi que celle de l’opposition après les sanglantes manifestations des 19 et 20 septembre 2016. Au final un accord politique sera signé le 18 septembre entre la Majorité présidentielle et l’opposition ayant répondu à l’invitation du facilitateur Edem Kodjo, à qui il faut rendre hommage pour son esprit panafricaniste.
Cet accord politique comporte 12 chapitres divisés en 25 articles qui traitent du fichier, du calendrier et de la sécurisation du processus électoral, des personnes et des biens, du budget des élections, des institutions ainsi que des mesures de confiance et de la composition du comité de suivi de l’accord issu du dialogue. D’autre part, il est spécifié que le Premier ministre sera issu de l’opposition. Quant au chef de l’état, il reste en fonction jusqu’à l’élection effective de son successeur, ceci conformément à l’article 70-2 de la constitution. Mais surtout, il reporte les élections (présidentielles, législatives et provinciales) au mois d’avril 2018. Cette date semblant beaucoup plus réaliste au regard des contraintes techniques et financières de la CENI. Un mois plus tard, le 17 novembre 2016, le chef de l’état va nommer Premier ministre l’opposant Samy Badibanga, président du groupe parlementaire UDPS et alliés (dissident de l’UDPS d’Etienne Tshisekedi). Dans la foulée son gouvernement est nommé et investi par le Parlement.
Cependant le refus de l’opposition radicale de participer au Dialogue de l’UA laisse un sentiment d’insatisfaction. L’inclusivité nécessaire à la décrispation du climat politique n’y est pas et la tension monte dangereusement à l’approche de la date fatidique du 19 décembre, fin officielle du dernier mandat du président Kabila. D’ailleurs Kinshasa se vide de ses expatriés et les affaires tournent au ralenti, tandis que la dépréciation du franc congolais se poursuit vertigineusement, au grand dam des populations démunies qui vivent au jour le jour… Subissant des pressions de toutes parts, principalement occidentales (Edem Kodjo a raconté à l’hebdomadaire Jeune Afrique son effarement lorsqu’il a vu comment des simples diplomates occidentaux s’adressaient sur un ton arrogant et comminatoire aux autorités congolaises), le chef de l’état va charger les évêques de la Conférence épiscopale du Congo (CENCO) de procéder à des consultations pour un nouveau dialogue plus inclusif. Et Ô miracle, les pourparlers vont déboucher sur la convocation d’un autre dialogue, dit inclusif, sous l’égide de la CENCO. Une fois encore le réalisme semble l’avoir emporté face au radicalisme. Il est fort à parier que les occidentaux dont le soutien à l’opposition radicale est un secret de polichinelle ont dû également peser dans ce revirement spectaculaire. D’ailleurs salué par la population à qui on avait promis sang et larmes après le 19 décembre.
FAUX JUMEAUX ?
De l’avis d’un grand nombre d’observateurs dépassionnés, l’Accord de la cité de l’UA est le socle sur lequel a été conclu l’Accord de la CENCO. La gémellité est évidente entre les deux textes, concernant aussi bien la matière traitée que le sort du chef de l’état ou l’attribution de la direction du gouvernement à l’opposition et son caractère composite. Les principales différences résident dans les formulations et dans les délais de tenue des élections qui ont été raccourcis de manière insignifiante et peu réaliste, à coups de découplage de certains scrutins.
L’attribution expresse du poste de premier ministre à une composante désignée de l’opposition ainsi que celle nominative du président du Conseil national de suivi de l’accord sont les principales différences entre les deux accords. Dans ces conditions ont peut dire que d’une certaine manière ce sont des questions d’individus qui ont prévalu dans la finalisation du deuxième accord. C’est d’ailleurs sur cet aspect que buttent certaines composantes de l’opposition, notamment le Front pour le respect de la constitution emmené par le MLC, ainsi que l’opposition signataire de l’Accord de l’UA avec à sa tête le Premier ministre Samy Badibanga.
Au final, c’est en fonction de l’opposition ayant le plus de popularité, de moyens et de soutiens extérieurs, c’est-à-dire de pouvoir de nuisance, qu’on détermine le degré d’inclusivité. C’est aussi une forme de réalisme politique pour le pouvoir…
DE LA MORALE EN POLITIQUE
Dans l’Accord de l’UA la plupart des dispositions ne sont pas nominatives, ce qui garantit l’équité vis-à-vis de tous les citoyens se trouvant dans les situations mentionnées. Or dans l’accord de la CENCO au chapitre des mesures de décrispation il est mentionné des cas dits emblématiques, dont certains posent des problèmes de conscience. C’est le cas notamment des condamnations pour faits de viol. Il est incompréhensible que dans un pays meurtri par le fléau du viol et des exactions sur les femmes qui ont eu un écho mondial, nos responsables politique puissent sans pudeur aucune ériger l’auteur de tels faits en cas politique emblématique. Cela est une honte et jette l’opprobre sur toute notre classe politique, qui du coup devient elle-même emblématique de la faillite morale de ce pays.
De la même manière, un homme politique ayant rejoint une rébellion armée (appuyée par une armée étrangère) qui a causé d’énormes perte en vies humaines, civiles et militaires, au Nord-Kivu il y a à peine quelques années est placé sans gêne sur la liste des cas emblématiques. Où allons-nous ? Avons-nous un peu de respect pour nos concitoyens et nos militaires fauchés par les balles du M23 ? Il y a de quoi perdre foi en ceux qui les déshonorent ainsi. D’ailleurs, d’après certaines confidences des prélats ont été choqués par l’attitude de nos hommes politiques.
En France, un ancien directeur du FMI (DSK) a vu sa carrière brisée par une simple affaire de mœurs, un ministre prometteur a été rayé de la vie politique pour avoir abusé d’un logement de fonction. En Allemagne ou en Angleterre des ministres ont démissionné pour mauvaise conduite dans leur vie privée. Mais chez nous en RDC, un homme politique condamné à une peine lourde par la justice pénale internationale pour crimes contre l’humanité a toujours l’espoir de devenir président de la république, et il sera attendu comme un messie par ses supporters. Qu’il devienne élu local ou député pourquoi pas ? Mais tout de même pas la magistrature suprême…
Si les arrangements particuliers prévus par l’Accord de la CENCO privilégient les positionnements individuels, dans une forme corporatisme consacrant des privilèges de fonction ou encore l'immunité judiciaire des politiciens au détriment de l’objectif recherché qui est d’aboutir avec réalisme à des élections crédibles et apaisées, nous devrions nous poser des questions sur la moralité dans notre pratique de la politique.
IMBROGLIO CONSTITUTIONNEL
Si la gestion de la période préélectorale hors délai continue à être est régie par l'article 70 en ce qui concerne le président et les institutions à mandat électif, le fonctionnement du gouvernement dans une cohabitation arrangée fragilise ce dernier. En effet, le gouvernement issu de l'accord ne dispose pas de la majorité au Parlement. Et aucune loi simple ou organique ne pourra contraindre le parlement à endosser les choix du gouvernement dans la gestion de la chose publique.
De ce fait, le gouvernement ne devra sa survie qu'au bon vouloir des signataires de l'accord.
Il est à craindre que l’horizon des congolais ne soit pas éclairci de sitôt…
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