Le Blog de Charles Kabuya

SOS JUSTICE EN PERDITION AU CONGO

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Un des défis majeurs que nous avons en RDC c'est celui de rendre notre justice équitable, car c'est le fondement d'une société juste et démocratique. C'est surtout le socle sur lequel se bâtit le pacte social et républicain.

Je vais vous raconter une anecdote qui illustre les travers profonds de notre justice congolaise:
Un homme est chargé de faire le déménagement d'un cabinet d'avocats, il est sur place depuis quelques heures pour préparer les cartons et déplacer le mobilier. Subitement un des avocats du cabinet arrive avec des policiers qui embarquent manu militari le déménageur en direction du commissariat central de Kinshasa. L'avocat l'accuse de la disparition d'une somme de 3000 Usd qu'il aurait détenue dans un tiroir de son bureau. Elle lui aurait été remise il y a plusieurs jours par une cliente afin de régler un conflit locatif.

La famille de l'accusé nous demande d'intervenir. Nous trouvons un homme désemparé et qui nie tout en bloc. Il a été fouillé et on a rien trouvé sur lui. Tous les témoins affirment qu'il n'a pas quitté les lieux et qu'il n'a été en contact avec aucune personne extérieure. Néanmoins l'Opj fait pression sur sa famille, il faut payer la moitié de la somme qui aurait disparu pour qu'il soit libéré. Comme ça, sans aucune preuve de la présence même de cette somme dans le bureau de l'accusateur... Dans n'importe quel pays où il y a un minimum de respect des procédures judiciaires il aurait été libéré sur le champ après fouille et perquisition.
Mais l'homme passe la nuit en garde à vue dans les cellules infernales du commissariat où on dort par terre et on fait ses besoins à même le sol. La puanteur est insoutenable et il est en compagnie des kuluna (bandits) qui le maltraitent toute la nuit.

Etant donné la position partiale du commissariat, nous demandons une réquisition afin que le Parquet général se saisisse de l'affaire. L'homme est conduit au Parquet où il passe une seconde nuit dans une cellule bondée et tout aussi puante. Je me demande d'ailleurs si ces effluves nauséabondes n'arrivent pas jusqu'aux fenêtres du ministre de la justice dont les bureaux se trouvent à quelques mètres de là, voire au Palais de la Nation qui se trouve à 500 mètres...

La mère de l'accusé est une pauvre marchande au marché communal. Des policiers commis à la garde des cellules lui exigent 20 Usd pour voir son fils, et 50 Usd pour qu'il soit mieux traité. Eh oui! il n'est pas rare que des prisonniers fassent subir des sévices corporels, voire sexuels à d'autres prisonniers plus faibles...

Finalement le lendemain une confrontation est organisée par le substitut du procureur. L'accusateur n'a aucune preuve que la somme se trouvait dans son bureau, il a juste une attestation de sa cliente qui lui aurait remis l'argent il y a quelques jours. Nous plaidons la libération immédiate du détenu. Il y a deux thèses en présence: soit l'avocat est véreux et il veut escroquer à sa cliente la somme confiée, soit notre homme l'a effectivement dérobée. Mais où se trouve cet argent car l'accusé n'a pas quitté les lieux et n'a rencontré aucune personne extérieure?
En procédure pénale la charge de la preuve incombe à l'accusateur; en l'espèce il doit démontrer la présence effective de l'argent dans son bureau. Or il n'en ai rien, à part de simples allégations verbales. D'autre part, un principe universel du droit doit s'appliquer: "in dubio pro reo", le doute profite à l'accusé.

Nous sommes vendredi, le procureur ne se prononce pas, l'accusé doit passer une autre nuit dans les cellules du Parquet. Le lendemain, samedi, nous apprenons qu'il y eu mandat de dépôt et que l'accusé a été transféré à la prison centrale de Makala. Nous sommes effarés d'apprendre que le substitut du procureur a fait comprendre à la famille qu'il avait besoin d'une "motivation" pour libérer l'accusé. La somme négociée serait de 1000 Usd. Et devant le calvaire vécu par leur fils à Makala où il est tombé malade après avoir été commis au nettoyage des toilettes des prisonniers, cette famille si pauvre a dû emprunter aux amis et connaissances pour motiver le magistrat.

Lundi nous sommes dans le bureau du procureur, nous lui exprimons notre incompréhension face à une décision qui ne respecte aucun principe élémentaire du droit. Ce n'est pas parce que l'avocat est un auxiliaire de justice que sa parole pèse plus lourd que celle d'un simple citoyen. Nous faisons semblant de ne pas savoir ce qui s'est négocié avec la famille. Il nous demande d'introduire une lettre de demande de liberté provisoire. Le lendemain l'ordonnance est enfin prise et nous courons à Makala chercher le prisonnier, non sans que la famille ait encore mis la main à la poche pour des soi-disant formalités de l’administration pénitentiaire.

Voilà comment la justice fonctionne dans notre pays. On peut vivre un calvaire au mépris des droits que garantissent notre constitution, car le système judiciaire est corrodé. Récemment le chef de l'état avait procédé au renouvellement du personnel judiciaire, mais les résultats attendus ne sont pas là...

Si les citoyens sont maltraités par leur propre justice, cela pourrait être un cocktail explosif. N'oublions pas la leçon de la Tunisie: c'est la mort d'un simple marchand ambulant, victime de l'arbitraire, qui avait déclenché la révolution...



18/06/2015
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