Le Blog de Charles Kabuya

UN TEMOIGNAGE EDIFIANT SUR LE CONGO

 

« Au service d’un Congo aux mille visages » est le titre de la biographie d’Albert Mpase, un important témoin de l’histoire du Congo. Je n’ai pas l’honneur de connaître papa Albert Mpase, mais son fils Martin est un pote dont je suis redevable de cette enrichissante lecture.

 

S’il est un fait que beaucoup d’entre nous déplorent, c’est l’extrême rareté des écrits ou des documents produits par ceux que l’on peut considérer comme les « témoins » de notre histoire. La plupart des acteurs de cette Histoire, ceux qui l’ont vécue aux premières loges ainsi que ceux qui en ont été les protagonistes, ont quitté cette terre sans rien laisser à la postérité, sans donner leur version des faits et sans dire leur vérité même si elle ne fut pas toujours belle… C’est ainsi que l’histoire récente du Congo comporte beaucoup de « parts d’ombre » quant au rôle des différents acteurs et elle est souvent sujette à spéculations sur certains épisodes cruciaux. Ceci est tout à fait déplorable, voire dommageable pour notre pays car les témoignages et l’expérience des anciens ne profitent pas à la jeunesse qui est ainsi susceptible de commettre les mêmes erreurs du passé. Nous osons espérer qu’après l’exemple de ce livre, d’autres « anciens » emboîteront le pas…

 

Je considère le livre d’Albert Mpase comme un témoignage particulièrement édifiant, tant l’auteur a connu un parcours exemplaire qui l’a conduit de l’enfance difficile dans le contexte colonial aux ors de la république, en passant par une scolarité pionnière dans la colonie, puis en métropole, et par une carrière administrative, politique et universitaire très riche. Signalons au passage qu’il fut également un brillant joueur du Daring Club de Léopoldville (ce qui renforce ma sympathie pour lui…) Son livre nous invite à un voyage au cœur de la vie de la colonie, et ce à travers le parcours emblématique d’un jeune homme originaire du « Lac Léopold II » (Mai-Ndombe). Ce voyage nous mène « au bout de la nuit congolaise » car la vie de ce jeune congolais couvre aussi bien l’aube de l’indépendance, avec ses espérances, que le crépuscule de la jeune république qui faillit sombrer avec corps et biens à de multiples reprises sous les assauts de ses ennemis extérieurs et de ses démons intérieurs. Il nous livre aussi des anecdotes croustillantes sur des sujets variés ainsi que des « révélations » sur certains pans de notre histoire récente.

 

Je ne résiste pas à l’envie de commenter et de faire partager quelques anecdotes et faits saillants relatés dans cet ouvrage que je recommande à tous (les phrases « entre guillemets » sont de l’auteur du livre) :

 

-          A l’époque coloniale, il n’y avait pas de limite d’âge pour entamer des études : « même un gaillard de 25 ans bien sonnés pouvait s’inscrire à l’école primaire »

Lorsqu’on voit le faible niveau d’alphabétisation de beaucoup de congolais aujourd’hui, je me demande si cette mesure ne devrait pas être reconduite. Cela permettra à certaines personnes qui parfois même font de la « politique » de retourner s’alphabétiser pour rehausser leur niveau… Car comme dit l’auteur : « l’alphabétisation des adultes [est] la base même de la démocratie moderne. Pour un pays réellement en marche vers le développement (…) l’alphabétisation généralisée constitue une étape incontournable.

« Les difficultés sont prohibitives pour un peuple majoritairement illettré »

 

-          Lors d’une tournée d’inspection, un administrateur territorial belge exigea qu’on déterre le cadavre d’un homme qui était mort sans avoir payé ses impôts. Il fit fouetter le cadavre déjà en putréfaction devant toute sa famille réunie pour la circonstance…

 

-          Dans certaines sections du premier Centre Universitaire ouvert à Kisantu, les étudiants rwandais et burundais représentaient 20% des effectifs (à méditer…)

 

-          Il était interdit aux noirs de prendre le train à la gare centrale de Kinshasa (elle était réservée aux blancs uniquement)

 

-          Lors de la première tournée de la sélection du Congo-belge en Belgique (mai 1957), elle perdit son premier match contre l’équipe d’Anderlecht sur le score de 9 à 1 (la veille, les joueurs congolais avaient passé leur première nuit européenne à « venger la race » avec les prostituées de la gare du nord…)

 

-          « En dehors de quelques missionnaires, il était rare qu’un blanc vienne serrer la main (d’un noir) »

 

-          A Bruxelles, l’étudiant Marcel Lihau gifla un belge qui était venu le « palper » pour voir s’il était « humain » et non une statue d’ébène…

 

-          A la veille de l’indépendance, il n’y avait que quelques centaines d’étudiants congolais en Belgique, tandis que le Nigéria comptait plus de 40.000 étudiants en formation dans les universités d’Angleterre…

 

-          « Le volet loisir (…) ainsi que celui des pratiques religieuses (groupes de prière…) occupent aujourd’hui, nous le craignons, une place excessive qui met en danger l’éclosion du sens même de la responsabilité de la jeunesse face au destin du pays » (voilà qui va apporter de l’eau au moulin de certains…)

 

-          Des politiciens congolais délégués à la Table Ronde à Bruxelles prirent un taxi et refusèrent de le payer en disant au chauffeur que « ce taxi fait partie des biens congolais détournés par la Belgique… »

 

-          Le produit intérieur brut (P.I.B.) du Congo-belge dépassait celui de l’Afrique du Sud et celui du Canada.

 

-          A propos du fameux discours de Lumumba le 30 juin 1960, un professeur belge de l’université de Louvain dira à l’étudiant Mpase que : « Le discours de Sa Majesté le Roi est tellement paternaliste qu’il a mérité la réponse du Premier Ministre Lumumba… »

 

-          D’après l’auteur, le « Collège des commissaires généraux » dont il fit partie et qui fut mis en place lorsque Mobutu neutralisa Kasavubu et Lumumba ne traita jamais du dossier de l’arrestation et de l’assassinat de Lumumba. Les commissaires Munkamba et Kazadi qui convoyèrent les prisonniers vers leur destin fatal auraient donc agi à titre individuel ? Dans tous les cas, il affirme que son collègue Marcel Lihau dira : « N’oubliez pas que notre gouvernement coexiste avec un autre plus puissant, formé par le groupe de Binza (les amis de Mobutu). C’est ce dernier qui, à notre insu, gère les dossiers les plus importants »

 

-          Au Katanga, « en sa qualité de puissance industrielle consommatrice de cuivre et de cobalt, la France continuait à soutenir la sécession et à fournir des conseillers hostiles aux intérêts de la nation congolaise » (A méditer, on se rend compte que les tentatives de balkanisation du Congo ont toujours été soutenues de l’extérieur, pour des intérêts étrangers, mais on utilise à chaque fois des congolais pour trahir leur patrie…)

 

-          Le Rapport des Nations-Unies du 29 juin 1964 fait une description qui a des similitudes avec la situation que connaît aujourd’hui le Congo. Jugez vous-même :

 

« Les congolais, en raison du niveau moyen de leur instruction et de leur inexpérience caractéristique n’étaient guère préparés à assumer la prise en charge des responsabilités inhérentes à la gestion efficace d’un Etat indépendant »

« Il leur manquait des chefs forts et pondérés, jouissant de l’appui éclairé du peuple » (Aujourd'hui encore, la classe politique congolaise est décriée...)

« Les immixtions des certaines puissances étrangères allaient exploiter à leur profit (cette situation) » (C'est une musique bien connue...)

« L’ONU était, par voie de conséquence, devenu le seul soutien de ce pays menacé de désintégration et de chaos… » Grâce à « la plus vaste opération de l’histoire des Nations-Unies (Onuc à l’époque) » (Aujourd’hui aussi la Monuc, devenue Monusco, représente la plus vaste opération des Nations-Unies)

« Cette aide ne concernerait pas seulement les aspects militaires, mais aussi la mise en route des structures juridiques appropriées et d’un gouvernement de consensus national » (Cela ne vous rappelle rien ? Sun-City, gouvernement 1+4… On a l'impression que l'histoire se repète...)

 

L’auteur note également les inconvénients de la mission de l’ONUC à l’époque :

 

Prolifération des maladies vénériennes apportées par les soldats étrangers ; augmentation des filles mères ; irruption de certaines pratiques sexuelles contre nature…, pillages, viols etc.

Pour sa part, la Ligue belge des droits de l’homme nota que « les infractions que le personnel civil et militaire de l’ONU avait commises n’ont à ce jour pas fait l’objet d’une répression… »

 

- Au sein de la Commission constitutionnelle de Luluabourg en 1964 « sous la pression des interventions des originaires du Nord et du Sud Kivu, les débats se focalisèrent rapidement sur les migrations successives des populations rwandaises… »

 

Dans le procès-verbal de la 13ème séance du 3 février 1964, la commission constitutionnelle conclut en ces termes (corsés à mon avis) : « Les conséquences que créeront ces immigrés au Congo sont si grandes (…) Il importe d’étudier avec objectivité sur un plan purement congolais, dans un esprit patriotique, un statut spécial pour cette catégorie de personnes qui nous serons très prochainement nuisibles » (No comment !)

 

-          L’auteur consacre une bonne partie du livre à l’œuvre de destruction de l’enseignement supérieur au Congo par le régime de Mobutu. Le bras de fer entre le pouvoir et les étudiants aboutira à des mesures qui consacreront le contrôle du pouvoir sur  l’université. Cette dernière ne sera plus de ces « hauts lieux de pensée, soustraits, dans une large mesure, des aléas et limites d’une gestion autocratique (du pays)… » Avec cette invasion de l’université par le politique, l’espoir de former dans l’excellence une élite capable de prendre en main le destin du pays s’évanouissait. A cause de la dégradation des conditions de travail et des nouvelles méthodes de gestion (la fidélité au chef et aux idéaux du parti et non la compétence) le niveau général allait irrémédiablement baisser.

 

Ceci n'est qu'un aperçu qui, j'espère, donnera envie de lire cet ouvrage qui contient une mine d'informations sur le parcours chaotique de notre pays...

  

Albert Mpase Nselenge Mpeti, « Au service d’un Congo aux mille visages » mémoires, RDC, Academic express Press



10/05/2011
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