Le Blog de Charles Kabuya

UNE RACE D'HOMMES S'EST ÉTEINTE...

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Nelson Mandela dans un camp d'entrainement du FLN en Algérie

« Toute ma vie je me suis consacré à la lutte pour le peuple africain. J'ai combattu contre la domination blanche et j'ai combattu contre la domination noire. J'ai chéri l'idéal d'une société libre et démocratique dans laquelle toutes les personnes vivraient ensemble en harmonie et avec les mêmes opportunités. C'est un idéal pour lequel j'espère vivre et agir. Mais, si besoin est, c'est un idéal pour lequel je suis prêt à mourir »  (Nelson Mandela lors de son procès en 1964)

 

Le monde entier est unanime pour rendre hommage à Nelson Mandela, décédé à la suite d’une longue et médiatique agonie. Ces hommages sont majoritairement sincères et mettent l’accent sur la personnalité hors pair de l’illustre disparu qui a donné à la planète entière une leçon de courage et de résistance contre l’oppression, au-delà de l'imaginable. Il se trouve cependant quelques rares voix dissonantes, surtout dans le chef de certains congolais, qui ont l’outrecuidance de tenir un discours désobligeant envers l’icône de l’Afrique. Une vue parcellaire de l’histoire de Mandela, des jugements à l’emporte-pièce et l’inculture sont à la base de ces radotages. Car pour qui connait la véritable histoire de Nelson Mandela, qui se confond avec celle de l’Afrique du Sud sous l’apartheid, l’homme est d’une espèce rare d’hommes d’état.

 

Il est difficile d’imaginer ce que furent les 18 années passées à la prison de Robben Island (sur un total de 27 années d’emprisonnement) à travailler dans la carrière de chaux ou à casser des cailloux des journées entières. Il était considéré comme un prisonnier de classe inférieure et avait ainsi moins de droits. Du coup les réductions des rations alimentaires se succédaient aux privations de toutes sortes (une visite et un courrier tous les 6 mois, se laver à l'eau de mer froide etc...)  Ces conditions faites pour briser la volonté d’un homme, il les brava avec un courage et une détermination qui en disent long sur sa conviction que son combat avait une légitimité suprême. Cette lutte, il la menait pour l’Afrique entière, et au nom de l’humanité. Il est encore plus difficile d’imaginer le courage physique de ceux qui menaient le combat de la liberté dans le contexte d’oppression qui fut celui de l’Afrique du Sud raciste, où la vie d’un noir ne valait pas grand-chose… Et malgré les persécutions sur les noirs, les terribles massacres lors des manifestations dans les townships qui ont jalonné l’histoire du pays, il fallait avoir la capacité d’unir toutes les communautés du pays et de pardonner pour pouvoir jeter les bases de la nation « arc en ciel ». Mandela avait compris cela: il était possible de vivre ensemble noirs et blancs dans un pays réunifié…

 

Dans la vision de Mandela combattre l’apartheid n’était pas une question de race, c’est cela qui a fait sa force et sa grandeur. Du reste, c'est à travers les écrits des « blancs » que j’ai personnellement pris conscience de la gravité de l’apartheid et de la nécessité de le combattre jusqu’à son anéantissement. Etudiant dans les années 80, je lisais les articles de Nadine Gordimer, une écrivaine sud-africaine d’origine juive et amie de Mandela. Et aussi les écrits de Breyten Breytenbach, un écrivain afrikaner, militant anti-apartheid qui fut emprisonné. Mais le livre qui m’aura le plus profondément marqué fut « Une saison blanche et sèche » d’André Brink, que je recommande d’ailleurs à tous ceux qui veulent s’imprégner de l’atmosphère de ce que fut l’apartheid au temps de son apogée. Ces récits donnent la chair de poule et permettent de se rendre compte à quel point ceux qui combattirent l’apartheid sur le terrain furent des héros. D’autre part, certains ignorent que des blancs sud-africains furent engagés, au péril de leur vie, dans la lutte contre l’apartheid. Les services secrets sud-africains étaient implacables, ils ont assassiné moult militants à travers le monde, tandis que l’armée menait des raids meurtriers en Namibie et en Angola dont furent victimes des milliers de civils.

 

L’histoire de Nelson Mandela est particulière dans ce combat contre l'apartheid, car il ne fut pas que théoricien de la lutte au sein de l’ANC, à laquelle il adhéra en 1944. Auparavant militant de la lutte non-violente, il changea sa vision après le massacre de Sharpeville en 1960. Il fonda Umkhonto We Sizwe, la branche armée qui mena des actions violentes et dont il fut le chef jusqu’à son arrestation en 1962. Son sourire légendaire et sa bonhomie ne doivent pas cacher la détermination de l’homme. D’ailleurs on ignore souvent qu’il quitta clandestinement le pays pour aller suivre un entrainement militaire dans un camp du FLN en Algérie. Chose qui était passible de la peine de mort à l’époque. Cette détermination, il l’afficha face aux propositions qui lui furent faites à maintes reprises par le pouvoir sud-africain pour qu’il renonce à la lutte armée en échange d’une libération. Et même lorsqu’il fut libéré par Frederik de Klerk en 1990, il resta intransigeant sur le principe « one man, one vote », en déclarant que l’ANC ne renoncera pas à la lutte armée tant que les facteurs qui avaient rendu nécessaire la lutte existeraient.

 

Pour arriver à cette réconciliation permettant de faire cohabiter les deux plus importantes communautés d’Afrique du Sud (noirs et blancs) sans la tentation de vengeance, les choses ne furent pas aisées. Déjà avant son arrestation à la fin des années 50, il fit face aux dissensions avec ses alliés communistes qui prônaient une lutte sans perspective de conciliation. De même il fut confronté au mouvement de  « conscience noire » qui, lui, revendiquait les droits exclusifs des noirs et fut plus tard dirigé par l’emblématique Steve Biko (torturé et assassiné par la police sud-africaine après les émeutes de Soweto en 1977). Mandela menait sa lutte pour l’égalité de tous, dans une Afrique du Sud unie. Et même après sa libération, lorsque les négociations étaient en cours pour définir le futur du pays, les choses ne furent pas simples, car la menace d’une guerre civile était pendante avec à la fois les conservateurs blancs et les zulus de l’Inkhata, dirigés par Buthlezi, opposés à l’ANC. C’est la grandeur d’âme de Mandela qui permit de trouver un compromis et d’aller aux premières élections libres qui le consacreront président.

 

Devenu premier président noir de la nouvelle république Sud-africaine, Mandela sera confronté aux lourdes tâches des réformes économiques, politiques et sociales. Ainsi qu’à la définition d’une nouvelle politique extérieure, l’Afrique du Sud étant la première puissance économique et militaire du continent. Un seul mandat de 5 ans n’aurait jamais suffit pour cette tâche. Il y a eu certainement des maladresses, des choix imprécis… Et c’est ici que s’engouffrent certains pour critiquer l’homme politique en déplorant le peu d’impact que son action aurait eu. Une journaliste qui a travaillé en Afrique du Sud me disait que les nouvelles générations, qui n’ont pas vécu les affres de l’apartheid, ne prennent pas la mesure de cela... Ils ne se rendent pas compte que le pays vient de loin. Ils n’ont pas vécu sous le joug du « mixed marriage act » ou de l’ « Immorality act », ils n’ont pas connu les déportations, les répressions… Du coup ils ont la critique facile.  Sur sa politique vis-à-vis de la RDC (Zaïre à l’époque), il est certain que Mandela ne pouvait plus sauver « le soldat Mobutu », mais eu égard aux services rendus à l’ANC il s’est impliqué personnellement pour trouver une sortie honorable au vieux maréchal qui était malade et au crépuscule de son pouvoir.

 

Le prix que lui et ses compagnons ont  payé pour défendre la liberté doit nous inspirer un respect profond. C’est un homme fait de sang et de chair, il a enduré des souffrances indicibles et au sortir de sa prison cela n’a pas été facile pour lui. Nadine Gordimer raconte que Mandela avait été anéanti en découvrant que sa femme Winnie avait un amant et qu’elle avait déjà tourné la page. Mais il ne le fit jamais voir… Au contraire il s’attela sans rancœur et sans faiblir aux tâches qui l’attendaient.

 

Il est déplorable que Mandela ait passé tant d’années en prison, et qu’il n’ait recouvré la liberté que vers la fin de sa vie. Cet homme aurait encore mieux servi son pays et le continent africain s’il avait joui de sa liberté plus tôt. Mais son destin était sans doute celui là : sacrifier sa vie pour les droits de tous. Mais plus que tout, c'est sa capacité à pardonner et ses convictions inébranlables qui lui confèrent sa grandeur incontestable. De ce point de vue il est d’une race de dirigeants que l’on ne fait plus sur un continent où les conflits ne sont plus que communautaires, religieux ou économiques. Une race qui s’est éteinte avec lui...

 


06/12/2013
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